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LE GRAND SÉPULCRE BLANC

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bant à l’eau, s’y enfonçant et réapparaissant à la surface. Ce travail de désagrégation était tellement rapide, se continuant avec un bruit sourd de mitraille, qu’en peu de temps ils se trouvèrent au milieu d’un immense champ de glaces flottantes, formé de millions d’unités variant en dimension depuis la grosseur du poing jusqu’à celle d’une maison. Plus de la moitié de l’iceberg avait ainsi volé en éclats. Les morceaux ainsi détachés avaient dû lui faire perdre l’équilibre, car à un moment leurs yeux horrifiés virent la masse énorme pencher insensiblement et tourner sens dessus dessous. Le déplacement d’eau entraîna presque leur chaloupe dans le maelstrom causé par cette culbute. Alors apparut à leur vue émerveillée une toute autre banquise. Au lieu de sa forme carrée, elle dessinait maintenant les contours les plus fantastiques et les plus variés, sculptés par l’action des vagues. Lorsque tout danger fut disparu, le premier second dit : « Maltais, vous êtes un chanceux. Depuis dix ans que je parcours les mers du nord, ce n’est que la deuxième fois que je suis témoin de l’explosion d’un iceberg. Vous qui êtes renseigné, dites-nous donc, où serions-nous tous si, par hasard, nous nous fussions trouvés au pied de l’iceberg lorsqu’il a commencé sa pétarade, car mon intention était de le frôler ? »

« Au diable votre demande et ma réponse, répondit Théodore en riant. Qu’importe, nous sommes ici, et c’est là le principal. »

Ils étaient tous gais de la performance unique à laquelle la nature les avait conviés, et encore plus du travail accompli.

En moins de cinq jours, l’ingénieur, si bien secondé de ses hommes, avait couvert au-delà de trois cents milles, et relevé deux cents milles de côtes inexplorées. Inutile d’ajouter que tous étaient exténués par ce travail de galérien.

À bord, on leur prépara un copieux déjeuner, arrosé d’une double ration de rhum. Tous gagnèrent leurs cabines pour prendre un repos bien mérité. Aucun d’eux n’entendit le grincement des chaînes sur l’acier de l’écubier, s’enroulant sur le cabestan et hâlant les ancres, ni le trépidement des machines lorsque le Neptune reprit sa course vers le nord et l’ouest. Les deux quarts de diane avaient sonné, la relève s’était faite deux fois, et toujours le long sommeil réparateur pesait sur eux. Huit heures s’écoulèrent ainsi. À leur réveil ils constatèrent qu’ils étaient déjà dans le détroit du Navy Board.

Monté sur le tillac, Théodore s’amusait à étudier les allées et venues des grands plongeons du Nord, des eiders, des bernaches, des phalaropes roux, des maubèches pourprées, des sanderlings et des goélands à manteaux glauques, qui ayant quitté leurs terrains de nidification, avaient conduit leurs petits sur les eaux du détroit où ils leur enseignaient la pêche. Ils formaient une république assez bruyante mais exempte de guerre.


CHAPITRE VII

LE PASSAGE DU NORD-OUEST


Hanté d’impossibles départs
Et d’aventures incertaines,
Vers le bleu des plages lointaines
Je t’ai dit, Ô mon Rêve : Pars !

Émile Vézina.


Huit heures du soir. La cloche du bord avait sonné le quart de nuit. Quelques ordres brefs avaient été donnés. Silencieusement, le capitaine, le deuxième second, le quartier-maître et les matelots dont le travail était terminé, se retiraient dans l’entrepont pour s’y reposer. Relevé par un nombre égal de marins, le premier officier assuma le commandement de la manœuvre. Il envoya le troisième au nid-du-corbeau, petite tourelle au sommet du mât de misaine entre le petit cacatois et le perroquet. De ce poste élevé d’où la vue portait au loin, il signalait à l’officier de quart l’approche et la direction des banquises.

Pour les éviter, le Neptune longeait alors la côte sud du détroit de Lancaster.

Théodore était tout attention. Appuyé au bastingage, à bâbord, sa lunette ne quittait pas sa vue. Il cherchait tous les contours de la côte, tâchant d’y découvrir la forme conique d’un toupie. Son cœur était dans l’attente. Sous l’emprise d’une forte émotion, il se dit : « Si seulement je peux apercevoir une silhouette se détachant sur le fond sombre des monts ? D’après les informations que m’a données Pacca, elle est temporairement installée sur cette côte. »

Une heure se passa ainsi. Deux ou trois alertes le firent tressaillir. Ce n’était qu’une illusion occasionnée par l’apparence trompeuse de grosses roches, ressemblant de loin à une tente.

L’on approchait maintenant l’entrée du golfe de l’Amirauté. Dépité, le cœur meur-