Page:Lavoie - Le grand sépulcre blanc, 1925.djvu/45

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
43
LE GRAND SÉPULCRE BLANC

doit être uniforme et toute la pâte recouverte. Cette couche de glace sera renouvelée tous les matins et vous constaterez combien plus facilement les cométiques glisseront sur la surface rugueuse de la neige. »

« Pourquoi, lui demanda Théodore, les Esquimaux n’attellent-ils pas leurs chiens à une même paire de traits, l’un derrière l’autre ? »

« Ça ne serait pas pratique, répliqua Nassau. Chaque chien a son trait individuel, s’attachant sur le dos à la bretelle formant collier. Chaque trait a de dix à trente pieds de longueur. Il est réglé de telle façon que lorsque les chiens tirent droit, le leader est à quelques pieds en avant du suivant et les autres, par paire, une verge en arrière les uns des autres. Les traits sont longs pour que les chiens ne se massent pas dans les glaces pressées, et, s’étendant en éventail, ne soient pas aussi portés à se battre. En cas d’accident ou de surprise, le dételage se fait en un clin d’œil, car, chaque trait, étant terminé par un anneau d’ivoire, n’est pas attaché au cométique, mais à une corde de babiche à nœud coulant, laquelle s’attache au premier barreau. Cet arrangement permet au traîneau de tourner facilement et de glisser à un angle différent de la direction dans laquelle tirent les chiens. On peut de cette façon profiter des places les plus unies lorsque l’on voyage sur les glaces pressées des battures, ou éviter les trous d’eaux au printemps. Si, en voyageant loin des côtes, l’on aperçoit un ours polaire, d’un tour de main la boucle retenant les traits est détachée, les chiens se trouvant libres, s’élancent à la poursuite de l’animal qu’ils ont bientôt rejoint et qu’ils harcèlent. Pendant ce temps le chasseur l’approche à une cinquantaine de pieds et le tire. S’il n’a pas de carabine, il se sert alors de sa lance, se plaçant à une dizaine de pieds de l’ours, lui lançant le javelot lorsque celui-ci se tient en équilibre sur ses pattes d’arrière. »

« Ceci me rappelle, reprit Théodore, qu’à mon retour au bateau en novembre, j’ai été témoin d’une belle bataille. Le fils de Koudnou et Monké-Chat étaient allés chercher du saumon à une cache au sud de la baie Adams. Ils n’avaient que deux chiens avec eux et leurs javelots. Ils rencontrèrent un ours et l’attaquèrent. Nous les atteignîmes quelque temps après, et, quoique nous eussions nos carabines, nous assistâmes comme spectateurs à cette lutte homérique. Elle dura trois quarts d’heure, avant que l’animal ne fut mis hors de combat. Quelle agilité, quelle souplesse de mouvements déployèrent ces jeunes gens, admirablement secondés par les deux chiens. »

« Voyaient-ils leurs maîtres en danger d’être saisis par l’ours, ils se lançaient derrière la bête, la mordant et aboyant, détournant ainsi son attention. »

« Avant que les Blancs vinssent dans nos parages, c’était là notre unique moyen d’attaquer l’ours et le morse, reprit Nassau. C’était une chasse dangereuse. Quant au renne nous le chassions à la flèche. Nous avons encore notre manière primitive de prendre le loup-marin et c’est la plus pratique. »

« Racontez-moi donc, lui dit Théodore, une chasse au phoque. »

« Avec plaisir, » répondit son hôte.

« Lorsque la glace recouvre détroits et baies, les loups-marins ne quittent pas leur habitat, quoiqu’ils soient obligés de revenir à la surface toutes les dix minutes pour y respirer. Ils conservent alors des trous ouverts où ils viennent remplir leurs poumons d’air. Quoique les glaces atteignent une épaisseur de six pieds, leur retour constant et fréquent à ces trous les empêchent de se congeler. L’Esquimau doit chasser le phoque en hiver lorsque les autres animaux se tiennent cachés. Pour le trouver, il emploie son chien qui a bon flair et le découvre par une faible vapeur s’élevant au-dessus de la glace lorsque l’animal vient respirer. L’Esquimau étend sur la glace une peau de renne. Il lie une lanière autour de ses genoux pour qu’ils ne fassent pas de bruit en s’entrechoquant quand il grelotte de froid. Ces préparatifs terminés, il s’assied, absolument immobile, quelquefois des heures durant, jusqu’à ce que le phoque se présente pour respirer. »

« Comment se fait-il que le chasseur doit attendre si longtemps, puisque vous me disiez, il y a un instant que le loup-marin doit continuellement revenir à la surface renouveler son approvisionnement d’air ? »

« Voyez-vous, il est très craintif et susceptible, de sorte qu’il entretient ainsi plusieurs respirateurs et ne fréquente pas le même deux fois de suite. Le moindre mouvement ou bruit, lorsqu’il approche d’une ouverture, suscite ses soupçons et il va ailleurs. Son approche s’annonce par l’apparition de bulles montant à la surface de l’eau et causées par l’animal qui exhale l’air de ses poumons. Le chasseur en profite. Lançant son dard au-dessus du centre de l’orifice, il enfonce le fer barbelé dans le cerveau de l’animal avec l’espoir de le tuer instantanément. La pointe se