Page:Lazare - Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris et de ses monuments, 1844.djvu/342

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supprimées au commencement de la révolution, ont été depuis organisées sous la dénomination d’Institut de France. Nous nous occuperons d’abord de l’Académie Française. — Un littérateur parisien, Valentin Conrart, conseiller et secrétaire du roi, avait réuni, dès 1632, dans une petite maison de la rue Saint-Denis, une société de gens de lettres. Ces conférences n’avaient pour objet que le mérite des compositions, les délicatesses fleuries du style et les intérêts de la grammaire. Dans cette agréable réunion, on distinguait Godeau, Gombault, Chapelain, Giry, Habert, l’abbé de Cérisy, tous gens instruits et spirituels. Lorsqu’un membre de cette société avait composé un ouvrage, il le communiquait à ses collègues qui lui donnaient librement leurs avis. Les conférences étaient suivies tantôt d’une promenade, tantôt d’une collation. « Ils s’assemblèrent ainsi durant trois ou quatre ans (dit Pellisson, le premier historien de l’Académie Française) et comme j’ai ouï dire à plusieurs d’entr’eux, avec un profit et un plaisir incroyable, de sorte que quand ils parlent aujourd’hui de ce temps-là, ils en parlent comme d’un âge d’or, durant lequel avec toute l’innocence et la liberté des premiers siècles, sans bruit et sans pompe, et sans autres lois que celles de l’amitié, ils goûtaient ensemble tout ce que la société des esprits et la vie raisonnable ont de plus doux et de plus charmant. » Cette agréable réunion devait être bientôt troublée. Un nommé Faret introduisit dans la société Bois-Robert, l’un des poètes aux gages du cardinal de Richelieu. Ce nouveau membre parla bientôt de cette compagnie au ministre. Richelieu engagea Bois-Robert à demander à ces hommes de lettres s’ils voulaient former un corps et s’assembler régulièrement sous la protection de l’autorité. « M. de Bois-Robert, ajoute Pellisson, ayant répondu qu’à son avis cette proposition serait reçue avec joie, il lui demanda de la faire et d’offrir à ces Messieurs sa protection pour leur compagnie qu’il ferait établir par lettres-patentes, et à chacun d’eux en particulier son affection qu’il leur témoignerait en toute rencontre. » On devine tout l’intérêt que le cardinal-ministre attachait au succès de sa proposition. Résister à l’affection calculée de Richelieu, c’était engager la lutte et se perdre. « Cependant, continue Pélisson, à peine y eut-il aucun de ces messieurs qui n’en témoignât du déplaisir et ne regrettât que l’honneur qu’on leur faisait vînt troubler la douceur et la familiarité de leurs conférences. » La proposition du ministre fut discutée dans une réunion solennelle. Plusieurs membres voulaient qu’on refusât l’offre du cardinal. Chapelain prit la parole : « À la vérité, Messieurs, dit-il, nous nous serions bien passés de l’éclat qu’on veut donner à nos conférences, mais dans l’état actuel des choses, voyons si nous sommes libres de suivre le parti qui nous parait le plus agréable. Nous avons affaire à un homme qui ne veut pas médiocrement ce qu’il a arrêté ; il n’est pas, vous le savez, habitué à la résistance, et ne la souffre pas impunément. Il regardera comme une injure le mépris que vous feriez de sa protection, et chacun de nous pourrait en ressentir les terribles effets. D’après les lois du royaume, toutes les assemblées qui s’organisent en dehors de l’autorité du souverain peuvent être défendues. Il sera fort aisé à monseigneur le cardinal, si l’envie lui en prend, de rompre notre société que chacun de nous en particulier désire être éternelle. » Ces raisons déterminèrent l’assemblée ; M. de Bois-Robert fut prié de remercier très humblement M. le cardinal de l’honneur qu’il leur faisait, et de l’assurer qu’encore ils n’eussent jamais eu une si haute pensée, et qu’ils fussent fort surpris du dessein de son éminence, ils étaient très résolus de suivre ses volontés.

Sur le rapport de son premier ministre, Louis XIII donna, au mois de janvier 1635, des lettres-patentes, portant qu’il serait formé une société de gens de lettres au nombre de quarante, sous le nom d’Académie française. Ces lettres ne furent enregistrées que le 10 juillet 1637, après une longue résistance du parlement, qui voulut qu’on insérât cette clause : Que l’Académie ne pourrait connaître que de la langue française et des livres qu’elle aurait faits ou qu’on exposerait à son jugement. L’opinion publique ne fut pas entièrement favorable à la nouvelle institution. Les partisans de Richelieu en parlaient avec admiration c’était une pensée sublime, une émanation du génie. Ses adversaires n’y voyaient qu’un appui redoutable prêté à la dévorante ambition du cardinal. D’autres s’en moquaient comme d’une chose sans portée. Jean Scarron, conseiller de la grand’chambre du parlement, père du poète burlesque, ayant été appelé pour donner son avis sur la vérification des lettres-patentes portant établissement de l’Académie, s’exprima en ces termes : « Cette rencontre me remet en mémoire ce qu’avait fait autrefois un empereur romain qui, après avoir ôté au sénat la connaissance des affaires publiques, l’avait consulté sur la sauce qu’il devait faire à un grand turbot qu’on lui avait apporté de bien loin. » Ce rapprochement exprimé avec tant de hardiesse excita la haine du ministre, qui priva le conseiller de sa charge et l’envoya en exil. La faveur publique dédommagea plus tard Jean Scarron, qui fut élevé en 1644 à la haute fonction de prévôt des marchands. L’Académie tint encore ses séances chez un de ses membres, ou chez Richelieu lui-même. Après la mort du cardinal, le chancelier Séguier, qui avait brigué l’honneur d’entrer à l’Académie, leur prêta une salle de son vaste hôtel. Le roi Louis XIV s’étant déclaré protecteur de cette compagnie, le titre d’académicien devint un objet d’envie. Des ministres, des grands seigneurs, des prélats voulurent se mettre sur les rangs. Cette condescendance flatta la vanité des académiciens roturiers, qui ne s’aperçurent pas que l’admission de ces hommes puissants les mettrait sous la dépendance du gouvernement. Patru, l’ami de Racine et de Boileau, leur fit sentir ce danger par un apologue. Il était question de recevoir un gentilhomme dont l’esprit n’était