Page:Lazare - L’Antisémitisme, 1894.djvu/237

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nous l’avons vu, puisque depuis des siècles ils formaient un peuple parmi les peuples, un peuple spécial conservant ses caractères grâce à des rites stricts et précis, grâce aussi à une législation qui le tenait à l’écart et servait à le perpétuer. Ils entrèrent dans les sociétés modernes non comme des hôtes, mais comme des conquérants. Ils étaient semblables à un troupeau parqué ; soudain les barrières tombèrent et ils se ruèrent dans le champ qui leur était ouvert. Or, ils n’étaient pas des guerriers, de plus, le moment ne se prêtait pas aux expéditions d’une horde minuscule, mais ils firent la seule conquête pour laquelle ils étaient armés, cette conquête économique qu’ils s’étaient préparés à faire depuis de si longues années. Ils étaient une tribu de marchands et d’argentiers, dégradés peut-être par la pratique du mercantilisme, mais armés, grâce à cette pratique même, de qualités qui devenaient prépondérantes dans la nouvelle organisation économique. Aussi, il leur fut facile de s’emparer du commerce et de la finance et, il faut le répéter encore, il leur était impossible de ne pas agir ainsi. Comprimés, opprimés pendant des siècles, constamment retenus dans tous leurs élans, ils avaient acquis une formidable force d’expansion, et cette force ne pouvait s’exercer que dans un certain sens ; on avait limité leur effort, mais on n’en avait pas changé la nature, on ne la changea pas davantage le jour où on les libéra, et ils allèrent droit devant eux, dans le chemin qui leur était familier. L’état de choses les favorisa du reste singulièrement.