Page:Lazare - L’Antisémitisme, 1894.djvu/344

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tance aucune, et ceux qui, allant plus loin encore, affirment le conservatisme du Juif, commettent une erreur aussi grave que l’erreur des antisémites.

Le Juif est conservateur, dit-on. Il faut encore expliquer dans quel sens et de quelle manière. Il est conservateur vis-à-vis de lui-même, conservateur de ses traditions, de ses rites, de ses coutumes, à tel point conservateur qu’il s’est immobilisé et que nous pourrions revivre la vie du Moyen Âge dans les juiveries de Galicie, de Pologne et de Russie. Mais c’est en réalité moins le Juif que le Talmudisme qui est conservateur. Nous venons de le voir, c’est seulement le Talmud qui peut vaincre le Juif, dompter ses instincts de révolte, et l’étude du Talmud, étude exclusive, obligatoire, le détourna de puiser dans la Bible : les docteurs tuèrent les prophètes. Cependant il ne faut pas oublier que les Talmudistes furent à un moment des philosophes et des philosophes rationalistes[1]. Au dixième siècle, les Rabbanites, que les Karaïtes avaient d’ailleurs précédé dans cette voie, voulurent soutenir la religion par la philosophie. Saadia, gaon de Sora, soutint qu’à côté « de l’autorité de l’écriture et de la tradition » il y avait l’autorité de la raison et il proclama « non seulement le droit, mais aussi le devoir, d’examiner la croyance

  1. Le Talmud est du reste tout imprégné de ce rationalisme. Le célèbre passage concernant la dispute entre R. Eliézer et ses collègues en témoigne. Le miracle, y est-il dit, « ne suffit pas à prouver une vérité ». (Talmud : Baba Mezia, 59.)