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évangéline

Tournant sur les métiers leurs essieux de roseau,
Au joyeux ronflement du rapide fuseau.
Le pasteur du village, humble et vénéré prêtre,
Alors ne tardait pas d’ordinaire à paraître.
En le voyant venir d’un pas majestueux,
Tous les petits enfants cessaient leurs bruyants jeux,
Leurs courses dans les prés, leurs cris de toutes sortes,
Et retournaient s’asseoir en rang devant les portes.
Arrêtant leurs fuseaux, les femmes se levaient,
Et, par des mots polis, toutes le saluaient.
Bientôt les laboureurs revenant de l’ouvrage
À l’étable menaient leur pesant attelage :
Le soleil émaillait la pente du coteau :
Et ses derniers rayons, comme des filets d’eau,
Jusques au fond du val, glissaient de roche en roche.
De sa voix argentine au même instant la cloche
Annonçait l’angelus et le déclin du jour.
Et, par-dessus les toits et les monts d’alentour,
On voyait la fumée en colonnes bleuâtres,
Comme des flots d’encens, s’échapper de ces âtres
Où l’on goûtait la paix, le plus divin des biens.
Ainsi vivaient alors les simples Acadiens :
Leurs jours étaient nombreux et leur mort était sainte.
Libres de tout souci comme de toute crainte,
Leurs portes n’avaient point de clef ni de loquet ;
Car dans l’ombre des nuits nul n’était inquiet :
Et, chez ces bonnes gens, on trouvait la demeure
Ouverte comme l’âme, à chacun, à toute heure.
Là le riche vivait avec frugalité,
Le pauvre n’avait point de nuits d’anxiété.