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ÉVANGÉLINE

Au loin tout recouvert d’algues, de noueux troncs,
D’arbres déracinés et de flexibles joncs.


Cependant les canots échoués sur le sable
Pour reprendre leur tâche impie et méprisable
De la haute marée attendaient le retour.
Auprès les matelots s’endormaient tour à tour
Après s’être repus de tabac et de bière.
Parmi les chariots, le long de la rivière,
Les pauvres exilés, sans abri, sans maison,
Ayant pour toit le ciel, pour couche le gazon,
Erraient plaintivement comme de pâles ombres.
Leur retraite semblait un amas de décombres.
Vainement de s’enfuir à la faveur du soir
Ils auraient, dans leur âme, entretenu l’espoir,
Epiant tous leurs pas, soupçonneuses, cruelles,
Partout se promenaient d’actives sentinelles.


Alors comme le soir descendait sur les champs
On entendit les voix des troupeaux mugissants
Qui laissaient leur pâture et regagnaient l’étable
En broutant aux buissons une feuille agréable.
Mais la grasse génisse attendit vainement :
L’étable était fermée ; et son long beuglement
Ne fit point revenir la joyeuse laitière
Avec un peu de sel et sa blanche chaudière.