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ÉVANGÉLINE

La vierge, cependant, à travers le bosquet
Promenait, en silence, un regard inquiet ;
Son cœur était ému, son âme était en peine :
Elle n’entendait point la voix mâle et sereine
De l’être bien-aimé qu’elle espérait revoir !
Basile soupçonna bientôt le désespoir
Qui couvait dans le cœur de la jeune proscrite,
Et lui-même il sentit une angoisse subite.
Il rompit, en tremblant, le silence aussitôt :
— «N’avez-vous rencontré nulle part un canot ?
« Du lac et des bayous il a suivi la route :
« Gabriel le conduit : vous l’avez vu, sans doute ? »
À ces mots que Basile aux proscrits adressa
Sur le front de la vierge un nuage passa ;
Son œil noir se remplit d’une larme brûlante,
Puis elle s’écria d’une voix déchirante :
« Gabriel, ô mon Dieu ! Gabriel est parti ! »
Son cœur dans le chagrin parut anéanti,
Et les échos du soir, tour à tour murmurèrent :
« Gabriel est parti ! » Les exilés pleurèrent.
Le vieux pâtre Basile avec bonté reprit :
— « Ne laisse point le trouble agiter ton esprit ;
« Sèche tes pleurs amers ; enfant, reprends courage ;
« Gabriel n’est pas loin de notre heureux rivage :
« Ce n’est que ce matin qu’il est parti d’ici,
« Le sot ! d’avoir laissé notre demeure ainsi !
« Toujours triste et rêveur, maladif et débile,
« Il était devenu d’une humeur difficile ;
« Il haïssait le monde et n’endurait que moi ;
« Il ne parlait jamais, ou bien parlait de toi.
« Dans les cantons voisins aucune jeune fille
« Ne semblait, à ses yeux, vertueuse ou gentille :