Page:LeMay - Le pèlerin de Sainte-Anne, Tome II, 1877.djvu/46

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esprit comme une brume dans la plaine, et l’empêche de saisir l’enchaînement des choses qui se sont alors passées, comme la brume empêche de voir la lisière de la forêt. Elle est heureuse parfois de pouvoir douter. Quelques-unes de ses amies, les plus malignes, celles qui n’auraient pas dédaigné le joli muet, lui font des compliments moqueurs dont elle ne s’offense point, croyant les mériter. Chaque fois qu’elle passe devant la maison déserte des pupilles, elle éprouve une angoisse. La pensée du muet revient plus vive, et l’orgueil blessé lutte dans son âme contre l’amour perdu.

Depuis l’arrestation du pèlerin, dans la famille Lepage, au Château-Richer, un nuage avait obscurci la sérénité qui remplissait le cœur repentant de Geneviève, et ce nuage portait la tempête dans son flanc. Geneviève se croyait à l’abri des insultes ou de reproches de son ancien maître, dans cette maison calme, loin de la ville et loin du monde.

— Comment, pensait-elle, pourra-t-il jamais deviner que je suis ici avec la petite Marie-Louise ? Il me croit encore au presbytère de Beauport ; il sait que j’ai des protecteurs ; il va craindre leur courroux.