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si tu pouvais parler

Entre tes bords fleuris, dans ta couche de pierre,
Comme un lac sous les bois ;
Et pourquoi tu brandis ton panache d’écume,
Torrent impétueux,
Comme un coursier secoue une aigrette de plume
Sur son front fastueux.

Si tu pouvais parler, tu nous dirais peut-être
Que ces vagues rumeurs, ces soupirs, ces sanglots
Qu’on entend tour à tour et s’éteindre et renaître,
Sont la voix des noyés que tourmentent tes flots ;
Tu nous dirais combien de longues chevelures,
Aux baisers de l’amour promises autrefois,
Se traînent maintenant sur tes glaises impures,
Ou se collent sans bruit à tes glauques parois.

Combien d’infortunés, jeunes, vieux, hommes, femmes,
Par le trépas surpris,
Sur les cailloux gluants, aux caprices des lames,
Traînent leurs corps meurtris !
Combien de fiancés, dans leurs habits de fête,
Au jour de leur bonheur,
Pour orchestres ont eu la foudre et la tempête,
Et la vague en fureur