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Page:LeMay - Tonkourou (nouvelle édition de Les Vengeances), 1888.djvu/22

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tonkourou


La course du vaisseau devenait incertaine.
La neige épaississait par moment. Toutefois,
On distinguait encore et la côte et ses bois ;
On voyait scintiller, dans la blanche poussière,
Les deux flèches d’argent du bourg de Lotbinière ;
On voyait s’avancer la Pointe des Hurons
Avec les cailloux gris semés aux environs.
Vouloir aller plus loin semblait de la folie :
Les cordages de lin gelaient dans la poulie,
Et les câbles noués ne se démarraient plus.
L’adresse et les efforts devenaient superflus.
La glace, par instant, formait un long barrage.

Le commandant cria d’éviter l’atterrage.
Le péril était grand. Mais le pilote dit :

— Vous le savez, patron, le danger m’enhardit.
J’ai bravé bien des fois la mort : rien ne m’effraie ;
Le vent peut redoubler ses grognements d’orfraie,
Je sais demeurer calme en face des courroux.
Je vois les bancs de roche avec leurs grands dos roux :
Je reconnais ces lieux que depuis vingt années
Je n’ai jamais revus dans mes longues tournées.

À ces mots il vira soudainement de bord,
Et le vaisseau courut une bordée au nord.