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16 UNE GERBE Pourquoi, fleuve orgueilleux, sur ton rivage oser
Jeter, comme un linceul, l’écume de ta lame ?
Es-tu donc aussi toi pris du désir infâme
D'agrandir ton royaume en volant tes voisins ?
Depuis quand ces verts prés et ces riants jardins
Sont-ils donc devenus connue une urne profonde
Où peut insolemment se dérouler ton onde ?
Pourquoi ta voix grossie a-l-elle tant d’horreur,
Et pourquoi ton aspect répand-il la terreur ?

Cet air de paix profonde et d’allégresse pure,
Qu’on voyait rayonner sur la brune figure
De tous les paysans réunis prés des eaux,
S’effaça tout à coup au penser des fléaux
Que pouvaient apporter les ondes déchaînées.
La gaité déserta leurs âmes consternées ;
Ils quittèrent en foule et précipitamment
Le rivage où montait le terrible élément.

Quand Damas, pour aller vers sa mère inquiète,
Eut laissé, sur l’ormeau, la fidèle Henriette,
Elle resta pensive en face du tableau
Qui s’ouvrait devant elle étrange autant que beau :
Elle entendait encor dans son âme attendrie
Vibrer de son amant la voix noble et chérie.