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Idylle fragile


Jean n’a jamais tant monté la rue pour aller chez Lucette, et Lucette ne l’a jamais tant descendue que depuis qu’elle va, sous des prétextes variés, rencontrer Jean. On les voit tous les jours ensemble.

S’aiment-ils ? Probablement. Ils le croient, en tous cas. Ne découvrent-ils pas en eux, à mesure qu’ils se voient et qu’ils causent, les mêmes goûts, les mêmes aspirations ? Ne sentent-ils pas un plaisir de plus en plus vif à se retrouver, et, entre ces bonnes heures, ne se consacrent-ils pas tous les deux la plus fidèle de leurs pensées ?

Ils s’aiment peut-être. Mais ce ne sont pas des prédestinés. Ils se sont connus par hasard, et ne se sont rapprochés que graduellement. Il n’y eut pas coup de foudre. C’est presque avec indifférence qu’ils accueillirent les premières occasions de se voir ; histoire de lier une amitié intellectuelle, pas plus.

Aujourd’hui, toutefois, est-ce encore cette simple amitié qui les conduit, qui les pousse à se rechercher si souvent ? Sans qu’ils s’en rendent compte, l’imagination ne l’a-t-elle pas peu à peu transformée ? À se voir ainsi fré-