Aller au contenu

Page:LeNormand - La plus belle chose du monde, 1937.djvu/17

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Et comme à regret d’avoir à confirmer son premier jugement, Lucette redisait et redisait avec cruauté :

— Ma chère, cherche pourquoi, mais je t’assure que tu ressembles à une chèvre. Que veux-tu que j’y fasse, tu ressembles à une chèvre.

Monique, mi-fâchée, mi-ironique, demanda :

— Trouves-tu que c’est joli, au moins, une chèvre ?

— Sûrement. Tu ne te souviens donc pas de celle de Monsieur Séguin ?

Elle s’en souvint, se calma, se résigna. Rien n’avait plus d’importance que d’être jolie et d’être originale. Pour ne pas y manquer, Monique s’appliquait à imiter les héroïnes des romans qu’elle lisait, et, avec le plus de plaisir, celles qui se singularisaient par des extravagances, disaient des énormités, se révélaient tour à tour ingénues ou expérimentées, cachaient sous des airs légers toutes les qualités profondes du cœur et de l’esprit, adoraient à la fois le bon Dieu, les enfants, les chiens, les vieilles dames, les pauvres, le ciel, la terre, la mer, les oiseaux, et même les poissons ! Monique tentait d’assimiler toute cette salade de sentiments, sans réussir toutefois à submerger son originalité propre, qui s’élaborait lentement sous ces masques innombrables, qu’elle empruntait pour amuser les autres et s’amuser elle-même.