Page:Le Ballet au XIXe siècle, 1921.djvu/26

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l’amour. — Quel amour ? — Non celui-ci, non celui-là ; et non quelque misérable aventure ! — Certes, elle ne faisait point le personnage d’une amante… Point de mime, point de théâtre ! Non, non ! point de fiction !… Pourquoi feindre, mes amis, quand on dispose du mouvement et de la mesure, qui sont ce qu’il y a de réel dans le réel ?… Elle était donc l’être même de l’amour ! — Mais quel est-il ? — De quoi est-il fait ? — Comment le définir et le peindre ? — Nous savons bien que l’âme de l’amour est la différence invincible des amants, tandis que sa matière subtile est l’identité de leurs désirs. Il faut donc que la danse enfante par la subtilité des traits, par la divinité des élans, par la délicatesse des pointes stationnaires, cette créature universelle qui n’a point de corps ni de visage, mais qui a des dons, et des jours, et des destinées, mais qui a une vie et une mort ; et qui n’est même que vie et que mort, car il ne connaît pas le sommeil ni aucune trêve.

C’est pourquoi la seule danseuse peut le rendre visible par ses beaux actes. Toute, Socrate, toute, elle était l’amour !… Elle était jeux et pleurs, et feintes inutiles ! Charmes, chutes, offrandes ; et les surprises, et les oui, et les non, et les pas tristement perdus… Elle célébrait tous les mystères de l’absence et de la présence ; elle semblait quelquefois effleurer d’ineffables catastrophes !… Mais à présent, pour rendre grâces à l’Aphrodite, regardez-la. N’est-elle pas soudain une véritable vague de la mer ? — Tantôt plus lourde, tantôt plus légère que son corps, elle bondit, comme d’un roc heurtée ; elle retombe mollement… c’est l’onde !

ÉRYXIMAQUE

Phèdre, à tout prix, prétend qu’elle représente quelque chose !

PHÈDRE

Que penses-tu, Socrate ?

SOCRATE

Si elle représente quoi que ce soit ?

PHÈDRE

Oui. Crois-tu qu’elle représente quelque chose ?