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bonds ; elle ne brûle que du vin qu’elle boit : elle n’aspire pas à une ivresse éternelle, celle que la vigne du cœur verse à l’esprit. Elle n’a rien d’intérieur ; elle n’est point méditative. Même furieuses, ses passions sont éphémères, et toujours courantes ; elle est toute charnelle et toute à la volupté : elle n’en a même pas les mélancolies, tant sa nature est légère. Ainsi, après l’avoir saisie humblement par la main, après s’être suspendue à ses bras, la danse trahit la musique. Elle lui demande ce grand cœur, passionné et tendre, dont elle ne fait rien : elle ne lui donne pas le sien, car elle n’en a pas. Comme la jeunesse, elle n’a que son élan et son caprice à donner. Et qu’est-ce donc, pour l’art et la suprême convoitise de l’homme, que le corps même le plus charmant, s’il est sans âme ?

II

L’ancien ballet est un conte ou une épopée sans paroles, que les gestes figurent et que la musique accompagne avec un excès de fidélité. Le ballet semble immuable : on le dirait lié à cette forme surannée. Les Russes y ont mis beaucoup plus de surprise, une vie et une couleur parfois admirables. Mais ils ont beau faire : toutes leurs inventions ne vont qu’à embellir un art qui a fait son temps. Ils rendent à la mode une beauté démodée : le ballet de Nijinski ressuscite le ballet de Vestris, comme l’Europe de 1914 rappelle celle du Directoire.

Quel abus du ballet en tout genre, à tutu ou sans tutu. Tant qu’il y aura du tutu dans le ballet, on n’aura pas la danse. Je parle de tutu pour faire bref : Le tutu n’est qu’un signe, celui du rond de jambe, des bras en l’air, du sourire collé au visage humain, comme un masque de bouche à l’autre masque : même dans le feu, ce sourire est glacé. On croit voir un peuple de poupées et de pantins en cire. Une femme, passe encore ; mais il me souvient avec horreur d’un danseur scandinave : je ne sais rien de plus ridicule, de plus laid et de plus lourd que ce Lapon gras, fessu, aux larges cuisses, au ventre mou qui faisait la femme, bien pis l’almée.

III

La danse est la promesse d’un art, et n’est pas de l’art véritable. La danse formelle doit disparaître. La danse pour la danse n’a pas de sens.