Page:Le Ballet au XIXe siècle, 1921.djvu/55

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dent de limiter à l’apport des normaliens toute la littérature française.

Qu’on ne prenne pas cette modeste réflexion pour un encouragement à l’amateurisme et une manifestation d’ingratitude à l’égard des danseurs et des écrivains qui connaissent bien leur grammaire et leur syntaxe. Hâtons-nous de souligner tout ce que nous devons aux « humanités » de la danse.

On ne fut pas toujours très équitable pour la technique classique. Il faut bien avouer, d’ailleurs, qu’elle s’était, peu à peu, chez nous du moins, intellectualisée jusqu’à la dessication. Le ballet d’opéra avait favorisé une insensible évolution de la danseuse vers la marionnette articulée. La raideur géométrique des « pas » et des ensembles traditionnels s'ajoutant à la convention du costume transportait la ballerine dans un monde mécanique très éloigné du plan humain. Certaines prouesses, certains « pont-aux-ânes » de son métier manquaient terriblement de grâce et de séduction. Un sujet exceptionnellement doué pouvait, par miracle, en masquer l’indigence mais la plupart des interprètes échouaient dans cette tâche difficile. Et les artistes s’étaient si bien habitués à dédaigner cette banale gymnastique anachronique, perpétuée pour le seul plaisir de nos vieux abonnés, qu’ils saluèrent comme des libératrices de génie toutes les femmes qui vinrent piétiner de la musique sans chaussons roses et sans tutu.

C’était une imprudence, et nous n’avons pas tardé à nous en apercevoir. La tunique grecque et les pieds nus nous ont infligé plus d’une cruelle désillusion. Et précisément, au même moment, par un singulier paradoxe, les Fokine, les Nijinsky, les Karsawina et les Pavlova venaient, du fond de la Russie, nous démontrer les qualités de la pure tradition française dans la chorégraphie classique. Ce fut, pour beaucoup de nos compatriotes, une véritable révélation. On ne s’attendait pas à découvrir chez ces révolutionnaires un tel respect du passé et le voisinage des danses du Prince Igor et du Sacre du Printemps ne donnait qu’une plus éloquente signification aux pointes des Sylphides.