Page:Le Ballet au XIXe siècle, 1921.djvu/62

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glioni, le libretto de Giselle ne datent pas moins dans les annales de la grande génération romantique que la première d’Hernani, la Barque du Dante, les Méditations. Apport éphémère, soit, par son essence même, mais sans lequel notre vision de la période romantique resterait incomplète et tant soit peu faussée. Contenant des éléments de beauté impérissable le ballet 1830 est bien de son temps. C’est que le genre inauguré en France par les Taglioni, dynastie de danseurs italienne et venant de Vienne, comportait toutes les caractéristiques du génie romantique : spiritualisme rêveur, engouement pour la couleur locale puisée aux sources populaires, nostalgie de pays lointains ou féeriques, d’un passé oublié ou légendaire, amour mystique plus fort que la mort.

Le ballet, qui fut sous l’Empire surtout un divertissement de danse accolé à un sujet quelconque de mythologie scolaire ou bien, comme en Italie, un drame passionnel mimé en mesure, se vit ainsi appelé à exprimer les aspirations d’une époque, sa pensée philosophique, son besoin de beauté. Transformation magique ! La danse dite classique, qui fut une acrobatie élégante satisfaisant à un appétit d’harmonie bien ordonnée, de mouvement symétrique, devint le langage de l’indicible, le mouvement s’érigea en symbole, le geste conventionnel se mua en un signe, une formule abstraite. Le spectacle ne fut plus un régal des sens, mais — selon un mot de Goethe — la réalisation de l’imaginaire. Résumons : le ballet romantique fut essentiellement, sous une forme palpable, directe, suggestive, l’expression spontanée et inconsciente d’une métaphysique spiritualiste. C’en était fait du rationalisme des classiques. Ce que fut pour les multitudes ferventes du moyen-âge le mystère, le ballet romantique le fît éprouver aux abonnés de l’Opéra vers 1830.

Le ballet fut, il sied de le préciser, un des foyers de rayonnement de l’influence germanique. Marie Taglioni — et ce n’est pas pour rien que du sang scandinave coule dans ses veines — dansa ce qu’avait pensé Kant, ce qu’avait chanté Novalis, ce qu’avait Imaginé Hoffmann.

Examinons les sujets de la Sylphide, de la Fille du Danube, de Giselle. Nous verrons toute la contexture de l’action faire preuve d’un dualisme marqué ; le monde de la réalité immédiate et mesquine et, juxtaposé, un