Page:Le Bon - Psychologie des foules, Alcan, 1895.djvu/201

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de ces séries innombrables de mesures législatives, toutes généralement d’ordre restrictif, conduit nécessairement à augmenter le nombre, le pouvoir et l’influence des fonctionnaires chargés de les appliquer. Ils tendent ainsi progressivement à devenir les véritables maîtres des pays civilisés. Leur puissance est d’autant plus grande, que, dans les incessants changements de pouvoir, la caste administrative est la seule qui échappe à ces changements, la seule qui possède l’irresponsabilité, l’impersonnalité et la perpétuité. Or, de tous les despotismes, il n’en est pas de plus lourds que ceux qui se présentent sous cette triple forme.

Cette création incessante de lois et de règlements restrictifs entourant des formalités les plus byzantines les moindres actes de la vie, a pour résultat fatal de rétrécir de plus en plus la sphère dans laquelle les citoyens peuvent se mouvoir librement. Victimes de cette illusion qu’en multipliant les lois l’égalité et la liberté se trouvent mieux assurées, les peuples acceptent chaque jour de plus pesantes entraves.

Ce n’est pas impunément qu’ils les acceptent. Habitués à supporter tous les jougs, ils finissent bientôt par les rechercher, et arrivent à perdre toute spontanéité et toute énergie. Ils ne sont plus alors que des ombres vaines, des automates passifs, sans volonté, sans résistance et sans force.

Mais alors les ressorts que l’homme ne trouve plus en lui-même, il est bien forcé de les chercher hors de lui-même. Avec l’indifférence et l’impuissance croissantes des citoyens, le rôle des gouvernements est obligé de grandir encore. Ce sont eux qui doivent avoir forcément l’esprit d’initiative, d’entreprise et de conduite que les