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CONVICTIONS DES FOULES

aussi bien aux époques de foi que dans les grands soulèvements politiques, tels que ceux du dernier siècle, on constate que ces convictions revêtent toujours une forme spéciale, que je ne puis pas mieux déterminer qu’en lui donnant le nom de sentiment religieux.

Ce sentiment a des caractéristiques très simples : adoration d’un être supposé supérieur, crainte de la puissance magique qu’on lui suppose, soumission aveugle à ses commandements, impossibilité de discuter ses dogmes, désir de les répandre, tendance à considérer comme ennemis tous ceux qui ne les admettent pas. Qu’un tel sentiment s’applique à un Dieu invisible, à une idole de pierre ou de bois, à un héros ou à une idée politique, du moment qu’il présente les caractéristiques précédentes il reste toujours d’essence religieuse. Le surnaturel et le miraculeux s’y retrouvent au même degré. Inconsciemment les foules revêtent d’une puissance mystérieuse la formule politique ou le chef victorieux qui pour le moment les fanatise.

On n’est pas religieux seulement quand on adore une divinité, mais quand on met toutes les ressources de l’esprit, toutes les soumissions de la volonté, toutes les ardeurs du fanatisme au service d’une cause ou d’un être qui devient le but et le guide des pensées et des actions.

L’intolérance et le fanatisme constituent l’accompagnement nécessaire d’un sentiment religieux. Ils sont inévitables chez ceux qui croient posséder le secret du bonheur terrestre ou éternel. Ces deux traits se retrouvent chez tous les hommes en groupe lorsqu’une conviction quelconque les soulève. Les Jacobins de la Terreur étaient aussi foncièrement religieux que les catholiques