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Page:Le Bon - Psychologie du socialisme.djvu/58

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ser à leur gré du fruit de leur travail et non l’abandonner à une collectivité, alors même que cette collectivité prétendrait suffire à tous leurs besoins.

Un tel sentiment a des origines séculaires, et il se dressera toujours comme un mur inébranlable devant tout essai sérieux de collectivisme.

Bien que turbulent, violent et toujours prêt à se mettre du côté des faiseurs de révolution, l’ouvrier est très attaché aux vieilles choses, très conservateur, très autoritaire et très despotique. Il a toujours acclamé ceux qui ont brisé les autels et les trônes, mais bien plus vivement acclamé encore ceux qui les ont rétablis. Quand par hasard il devient patron, il se conduit en monarque absolu et est beaucoup plus dur pour ses anciens camarades que ne l’est le patron de la classe bourgeoise. Le général du Barrail décrit de la façon suivante la psychologie de l’ouvrier émigré en Algérie pour devenir colon, profession consistant simplement à faire travailler à coups de bâton les indigènes :

"Il portait en lui tous les instincts de la féodalité, et sorti des ateliers des grandes villes, il parlait et raisonnait comme les leudes de Pépin le Bref ou de Charlemagne, ou comme les chevaliers de Guillaume le Conquérant, qui s’étaient taillé de vastes domaines dans les territoires des peuples vaincus."

Gouailleur toujours, spirituel parfois, l’ouvrier parisien sait très bien saisir le côté comique des choses et apprécie surtout dans les événements politiques leur côté amusant ou violent. L’éreintement d’un ministre par un député ou un journaliste l’amuse fort, mais les opinions défendues par le ministre et ses adversaires l’intéressent très peu. La discussion par échange d’invectives le passionne comme le ferait un spectacle de l’Ambigu. La discussion par échange d’arguments le laisse totalement indifférent.

Cette tournure d’esprit caractéristique se retrouve naturellement dans ses procédés de discussion, tels qu’on peut les observer dans les réunions politiques populaires. Il ne discute jamais la valeur d’une opinion, mais uniquement celle de l’individu qui l’expose. Ce qui le séduit, c’est le prestige personnel d’un orateur et non ses raisonnements. Il n’attaque pas les opinions de l’orateur