Page:Le Bon - Psychologie politique et défense sociale.djvu/120

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rience. Ces derniers cherchent en effet à établir des connaissances et non des croyances.

Connaissance et croyance sont choses fort distinctes. Platon l’avait observé, il y a un certain temps déjà, et indiqué également qu’on ne les édifie pas de la même façon. Tous les hommes acquièrent facilement des croyances. Très peu s’élèvent jusqu’à la connaissance. La connaissance implique des démonstrations et des raisonnements. La croyance n’en exige aucun.

La grammaire de la persuasion, dont je viens de résumer brièvement les éléments essentiels, n’est utilisable que pour la création d’opinions ou de croyances ayant des sentiments pour bases. De ces opinions et de ces croyances dérive l’immense majorité de nos actions. Qui les fait naître est notre maître.

Un orateur populaire s’adressant, comme tant d’honnêtes logiciens le supposent, à l’intelligence de ses auditeurs ne convaincrait personne et ne serait même pas entendu. Avec des gestes, des formules, des mots évocateurs d’images il influence leur sensibilité et par elle atteint leur volonté. Ce qu’il vise, ce n’est pas l’intelligence, mais cette région inconsciente où germent les émotions génératrices de nos pensées.

On agit sur elle par les moyens que j’ai indiqués : prestige, suggestion, etc. Mais, dans notre énumération, ne pouvait figurer (car il n’est guère formulable en règles) ce facteur personnel, composé d’éléments très divers et indéfinissables, dont l’ensemble constitue la séduction.

L’orateur qui séduit charme par sa personne beaucoup plus que par ses paroles. L’âme de ses auditeurs est une lyre dont il ressent les moindres vibrations nées sous l’influence de ses intonations et de ses gestes. Il devine ce qu’il doit dire et comment le dire. L’orateur vulgaire, le politicien craintif, ne savent que flatter servilement la multitude et accepter aveuglément ses volontés. Le véritable manieur d’hommes commence d’abord par séduire, et l’être séduit, foule ou femme, n’a plus qu’une opinion, celle de son séducteur, qu’une volonté, la sienne.

Il semblerait que ces charmeurs rayonnent des forces attractives inconnues. À qui les possède nul besoin de donner des raisons, la simple affirmation suffit. Si les grands orateurs consentent quelquefois à des explications, lorsque, leurs discours doivent être publiés, c’est qu’ils