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vées et qui ne se défendirent qu’à la dernière extrémité. La répression était indispensable. Aucun pouvoir politique n’aurait pu l’éviter.

Le gouvernement avait donc entièrement raison. Cependant toute la classe ouvrière l’a furieusement blâmé. Pourquoi ?

Avant de répondre à cette question, il faut répéter encore que les foules obéissent à des impulsions toujours déconcertantes lorsqu’on veut les juger au nom de la logique. Disserter sur l’absurdité de leurs mobiles serait inutile. C’est uniquement l’impression produite par eux dans les esprits qu’il importe de connaître.

Pour saisir l’influence de ces mobiles souvenons-nous du pouvoir des chimères sur l’âme populaire. Méconnaître leur action serait ignorer l’histoire. Dans la chaîne des événements dont elle redit le cours, le rôle de la raison fut toujours minime, et celui du rêve prépondérant. Des millions d’hommes ont péri au service des illusions et par elles furent fondés de puissants empires.

Le prestige de l’irréel reste aussi considérable aujourd’hui que jadis. Les chimères qui fascinaient autrefois les multitudes les fascinent encore. Leurs noms seuls ont changé.


Avant d’étudier la mentalité ouvrière nous devrons rappeler certains caractères généraux communs aux foules déjà décrits, puis les idées directrices spéciales aux ouvriers et déterminant leur conduite.

Une foule n’est pas nécessairement un rassemblement d’hommes. Des suggestions partagées par des individus éloignés, mais que la presse et le télégraphe réunissent mentalement, peuvent leur donner les aptitudes d’une foule. Ils en ont alors l’excitabilité, l’inconstance, la fureur, la crédulité, l’absence totale d’esprit critique, l’incapacité à se laisser influencer par un raisonnement, le fétichisme et le besoin irréductible d’obéir à un maître. Leurs mouvements les plus violents résultent toujours de l’impulsion de quelques meneurs. Aujourd’hui comme autrefois, la foule est prête à se prosterner devant tous les tyrans, mais elle en change plus souvent.

"Les foules, écrit Tarde, se ressemblent toutes par certains traits : leur intolérance prodigieuse, leur orgueil grotesque, leur susceptibilité maladive, le sentiment affo-