Page:Le Bon - Psychologie politique et défense sociale.djvu/215

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de la puissance qui les en a dotés, secondement si l’instruction européenne élève leur intelligence et développe leur moralité.

À ces questions, la réponse théorique ne semble d’abord pas douteuse. L’instruction n’est-elle pas considérée comme une sorte de panacée universelle ? Capable de rendre tant de services en Europe, ne doit-elle pas en rendre d’aussi appréciables aux Indes, chez un peuple dont la civilisation était déjà ancienne et très développée ?

Les résultats de l’expérience ont été diamétralement opposés aux indications de la théorie. À la profonde stupéfaction des professeurs, l’instruction européenne n’a fait que déséquilibrer entièrement les Hindous et leur enlever l’aptitude au raisonnement, sans parler d’un énorme abaissement de la moralité, dont j’aurai à m’occuper plus loin.

Les partisans de l’éducation européenne ne songent plus à le nier aujourd’hui. Leur opinion peut se résumer dans les citations suivantes, empruntées à un livre de monsieur Monier Williams, jadis professeur de sanscrit à Oxford, et qui a comme moi visité l’Inde en tous sens :

Je dois avouer en toute vérité, dit-il, que je n’ai pas été favorablement impressionné par les résultats généraux de notre campagne éducatrice. J’ai rencontré un grand nombre d’hommes mal instruits et mal formés, c’est-à-dire sans force dans le caractère et sans équilibre dans l’esprit. De tels hommes peuvent avoir appris beaucoup dans les livres. Mais s’ils pensent par eux-mêmes, leur pensée est sans consistance. La plupart d’entre eux ne sont que de grands bavards. On les croirait atteints d’une sorte de diarrhée verbale. Ils sont incapables d’un effort durable, ou, s’ils ont la force d’agir, ils agissent en dehors de tout principe arrêté, et comme entièrement détachés de ce qu’ils disent ou écrivent.
… Ils abandonnent leur propre langue, leur propre littérature, leur propre religion, leur propre philosophie, les règles de leurs propres castes, leurs propres coutumes consacrées par les siècles, sans pour cela devenir de bons disciples de nos sciences, des sceptiques honnêtes ou des chrétiens sincères.
… Après beaucoup d’efforts, nous fabriquons ce qui s’appelle un indigène instruit. Et aussitôt il se tourne contre nous. Au lieu de nous remercier pour la peine que nous avons prise à son sujet, il se venge sur nous du tort