Page:Le Bon - Psychologie politique et défense sociale.djvu/86

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tinuant indéfiniment, le vainqueur finira forcément par perdre, à son tour, le cinquième de son effectif et atteindra alors ce que nous avons appelé la limite démoralisatrice. L’ayant dépassée, comme il ne possède pas le pouvoir de résistance magique dont, par hypothèse, j’ai doué son adversaire, c’est lui qui entrera en déroute. De vainqueur, il deviendra vaincu.

Ce pouvoir miraculeux, décuplant la résistance des armées, n’est nullement inaccessible. Il dépend de l’éducation donnée aux soldats, de l’âme qu’on leur inculque. Certains sentiments peuvent constituer une force plus irrésistible que le nombre. L’histoire en fournit d’illustres exemples.

L’énergie du caractère n’est pas le seul facteur d’ordre psychologique intervenant dans le succès des guerres. Un autre existe d’importance égale : je veux parler de la communauté de conduite ou, si l’on préfère, de doctrine. Elle représente le fruit d’une éducation spéciale, forcément très longue. Ses effets ne se produisent que lorsqu’elle est arrivée à ancrer certaines notions dans l’inconscient de tous les officiers d’une armée. Alors seulement, ces derniers envisagent, avec une même optique mentale, les situations les plus inopinées et s’y comportent, par conséquent, de façon identique. La lecture des Mémoires du maréchal de Moltke montre les résultats de cette communauté de doctrine. On y voit, à chaque page (et l’auteur n’omet pas de la faire remarquer), que lorsque, dans la guerre franco-allemande, une évolution imprévue de l’ennemi obligeait l’état-major à prescrire de nouveaux mouvements, ceux-ci étaient généralement commencés avant que l’ordre fût arrivé.

Les Mémoires de nos généraux sur la guerre de 1870 révèlent, au contraire, qu’ils attendaient invariablement des instructions et ne bougeaient jamais sans en avoir reçu. Les premiers possédaient la discipline inconsciente, la seule permettant l’initiative. Les seconds ne connaissaient malheureusement que celle du corps. Avec une très petite armée, la discipline externe suffit. Avec une grande armée, la discipline interne devient indispensable. Une éducation intelligente peut seule la créer. Je recommande à ce sujet le livre du commandant Gaucher Psychologie de la Troupe et du Commandement, inspiré par mes livres Psychologie des foules, et Psychologie de l’éducation.