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AU PAYS DES PARDONS

sur le point de tomber à genoux. Il me tendit sa main ridée. « Chante ! » me dit-il. Deux heures durant je chantai. Si je faisais mine de m’arrêter, il me criait « Dalc’h-ta, mab, dalc’h-ta ![1] » Je lisais sur sa figure un vrai contentement. Quand j’eus fini, il murmura « Allons ! Allons ! désormais je peux mourir tranquille ». Et, m’attirant à lui, il me donna l’accolade. J’avais en moi l’allégresse d’un missionnaire que son évêque vient de consacrer. »

Cette consécration fut pour beaucoup dans les nobles illusions dont Yann se berça tant qu’il vécut sur la qualité de son talent. Il avait de son art une très haute idée et ne pensait pas moins de bien de la façon dont il l’exerçait. Les ouvriers de l’ancienne imprimerie Le Goffic, à Lannion, n’ont pas oublié de quel air de condescendance et de supériorité ce barde équipé en mendiant déposait sur le marbre ses extraordinaires manuscrits. De ceux-ci, j’ai quelques spécimens en ma possession. Le papier en a été ramassé Dieu sait où, comme par un crochet de chiffon-

  1. « Va donc, fils ! Va donc ! »