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Page:Le Braz - Au pays des pardons, 1894.djvu/190

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RUMENGOL, LE PARDON DES CHANTEURS

encore imposé à celles-ci sa personnalité envahissante et déformatrice — les levers d’aube ont gardé toute la poésie, tout le charme de leur grâce adolescente et de leur mystérieuse majesté.

… Au tournant de l’île de Tibidi, du « rocher de la prière » — ainsi appelé des fréquentes retraites qu’y firent Gwennolé et ses disciples — une voile se montre, et, derrière elle, on en voit poindre d’autres, piquant ça et là de notes brunes la grise uniformité des lointains. C’est la procession des barques d’Ouessant qui fait son entrée dans la « rivière ». Lourdes et robustes gabarres de pèche, taillées pour la lutte quotidienne avec l’autan, mais qu’on a parées pour la circonstance à l’instar des nefs sacrées. Serait-ce que l’eurythmie de ces flots calmes, dans cette méditerranée abritée et silencieuse, les déconcerte et les intimide, elles, les habituées de la tempête, les affronteuses des houles déchaînées ? Ou bien faut-il croire qu’elles ont quelque sentiment de la solennité de leur rôle ? Toujours est-il qu’elles s’avancent avec une sorte de lenteur grave, de cette allure noble et cadencée que