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Page:Le Braz - Au pays des pardons, 1894.djvu/210

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RUMENGOL, LE PARDON DES CHANTEURS

Je trinque une dernière fois avec le vieux poète trégorrois dans l’auberge où la veille nous nous sommes rencontrés. Nous échangeons de mélancoliques adieux.

« — J’ai le pressentiment », me dit-il, « que je ne chanterai plus aux Iliennes la triste chanson de Plac’hik Eûssa. Ce n’est point là ce qui me fait peine, mais de songer que les temps sont proches où c’en sera fini en Bretagne des belles gwerz aimées de nos pères et des sônes délicieuses qui, jusque sur la lèvre défleurie des aïeules, sonnent aussi gai qu’un oiseau de printemps. Toutes ces choses sont près de mourir, et d’autres encore qui ont éjoui nos âmes. Les pardons, hélas les pardons eux-mêmes disparaîtront. J’en sais dont je suis probablement le seul à me souvenir. Les chemins où je marche à présent sont jonchés de chapelles en ruines. Le fantôme de la cloche continue à tinter au-dessus du clocher détruit ; j’ai souvent ouï, le soir, son glas mystérieux et plaintif. Mais, à part moi, qui donc prête l’oreille pour l’entendre ? Nos prêtres sont les premiers à tuer nos saints, à laisser tomber leur culte en