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Page:Le Braz - Au pays des pardons, 1894.djvu/236

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LA TROMÉNIE DE SAINT RONAN

devant elle. On conçoit sa fureur, quand elle s’aperçut qu’il lui échappait. Elle le somma de rompre avec le thaumaturge ; pour la première fois de sa vie, il lui tint tête, opposant à toutes ses objurgations, à toutes ses invectives, une douceur tranquille et obstinée.

À partir de ce moment, le manoir de Kernévez, jusque-là si ordonné, si paisible, devint un enfer. Du matin au soir, Kébèn tournait dans la vaste cuisine comme une louve en cage, grinçant des dents et hurlant. Les enfants se fourraient dans les coins, derrière les meubles, et pleuraient en silence, n’osant plus approcher, leur mère. Valets et servantes quittèrent la maison l’un après l’autre le domaine tomba en friche, les troupeaux dont nul ne prenait soin vaguèrent dans les champs, à l’abandon. L’homme continuait de se rendre à la montagne, auprès du saint, indifférent au spectre de la ruine qui de toutes parts commençait à se dresser autour de lui. Il n’avait plus de souci des choses terrestres. Il habitait dans son rêve comme dans une tour très haute d’où il ne voyait que du ciel.