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Page:Le Braz - La légende de la mort en Basse Bretagne 1893.djvu/235

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là, voyez-vous, les cadavres se conservent longtemps. Je connais mon Roperz. À l’heure qu’il est, c’est à peine si la vermine a commencé à lui travailler les entrailles.

— Tant pis ! arrangez-vous !… La famille de Mab Ar Guenn désire vivement qu’il soit enterré à cette place. Roperz y est depuis cinq ans. Qu’il cède le tour à un autre. Ce n’est que justice.

Poaz-coz s’en alla, hochant la tête. Il n’était pas le maître, il devait obéir, mais il n’était pas content. Le voilà de mettre pioche en terre. La fosse fut bientôt déblayée aux trois quarts.

— Encore un coup de pioche, se dit Poaz, et j’aurai, si je ne me trompe, atteint le cercueil.

Il le donna de si bon cœur, ce coup de pioche, que non seulement il atteignit le cercueil, mais même qu’il l’éventra. Des éclaboussures infectes lui jaillirent au visage. Il se reprocha d’avoir frappé trop fort.

— Dieu m’est témoin pourtant, murmura-t-il, que je n’avais nulle intention de blesser ce pauvre Roperz ! Même, je vais faire en sorte qu’il ne soit pas trop gêné par le voisinage de Mab Ar Guenn.

Le brave fossoyeur passa deux heures à évider de telle façon le fond de la fosse que deux cercueils y pussent tenir à l’aise, celui de Roperz occupant une espèce de retrait.

Cela fait, il se sentit la conscience plus tranquille, quoique, néanmoins, il ne fût pas rassuré tout à fait. L’idée d’avoir « brutalisé un de ses morts » lui causait de l’ennui. Il ne soupa point de bon appétit ce soir-là, et s’alla coucher plus tôt que d’habitude.