L
À bord de la « Jeune Mathilde »
J’étais en ce temps-là matelot à bord de la Jeune-Mathilde du port de Tréguier. Nous faisions les campagnes d’Islande. Mon frère était aussi de l’équipage.
Une nuit que nous étions de quart tous deux, lui à l’avant, moi à l’arrière du navire, je le vis accourir à moi tout effaré.
— Laur, me dit-il à voix basse, viens vite ! Il y a là-bas quelqu’un qui gémit, accroché à l’étrave, sous le bout-dehors (le beau-pré).
Je me dirigeai vers l’avant, à pas légers, en prêtant l’oreille. J’étais un peu ému, je l’avoue : des frissons désagréables me couraient sous la peau.
J’eus beau écouter, je n’entendis rien.
— Avance encore, me chuchota mon frère. Pousse jusqu’à la cloche et penche-toi sur le bordage.
J’eusse préféré revenir sur mes pas, mais je ne voulais pas être pris pour un lâche. J’allai jusqu’à la cloche, je me penchai au-dessus des flots.
Alors j’entendis…
Voyez-vous, il me semble les avoir encore dans l’oreille, ces cris, ces longs gémissements de détresse.
À moitié fou de terreur, je courus réveiller le capitaine.