Page:Le Braz - Le gardien du feu, 1909.djvu/25

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— Oh bien ! déclarai-je, nous allons donc trinquer ensemble. Vous ne me refuserez pas cela, mon ancien ?

Nous trinquâmes une fois, deux fois… Il me contait ses campagnes, tout heureux d’évoquer, devant un cadet, les croisières belliqueuses du temps de l’Empire, les mouillages dans les eaux de Sébastopol, les débarquements dans les arroyos du Cambodge et sur les plages du Mexique. Je feignais de l’écouter religieusement, mais mon attention était ailleurs : elle suivait chacun des mouvements d’Adèle, son geste harmonieux pour remplir nos verres, et, quand elle s’était rassise à l’écart, dans la lumière de la lampe qui la baignait toute, le tremblement délicat que faisait l’ombre de ses grands cils bruns sur ses pommettes de frais ivoire. Ce m’était une douceur inexprimable de la sentir là, tout près. Les tumultes de mon sang s’étaient apaisés. Je goûtais un bien-être intime, une joie silencieuse et profonde,