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en s'ouvrant des dents petites et comme passées à la lime. Avec tout cela, ou, si vous préférez, en dépit de tout cela, la Charlézenn, quoiqu'elle eut dix-sept ans à peine, attirait, l'attention des jeunes hommes. Les commères racontaient, aux veillées qu'elle les ensorcelait. Comme preuve à l'appui, elles citaient l'aventure de "Cloarec Rozmar".

C'était un clerc, de Plouzélambre. Une année d'études seulement le séparait de la prêtrise. Or, un matin pendant les vacances, il avait sollicite de son père un entretien particulier.

— Mon père, dit-il, j'ai résolu que je ne serais pas prêtre.

— Reprends donc la bêche, répondit le vieux Rozmar.

— Oui, mais a une condition.

— Laquelle ?

— C'est que vous me permettrez de prendre femme.

— As-tu fait ton choix ?

— J'ai choisi la Charlézenn.

— Une va-nu-pieds ! Jamais !

— Si vous ne l'acceptez pour bru, j'en mourrai.

— J'aime mieux ta mort que le déshonneur de tous les nôtres.

— C'est bien !

Le lendemain, un des domestiques de la ferme avait trouvé Cloarec Rozmar pendu à la branche d'un pommier, dans l'enclos.

Cette tragique aventure avait provoqué, dans toute la région, une explosion de haine aveugle contre la Charlézenn. Notez que pas une fois Cloarec Rozmar ne lui avait adressé la parole. Cette grande fille farouche était ignorante de sa beauté comme de toutes choses. De l'espèce de fascination qu'elle exerçait, elle ne se rendait pas compte.