On chemina longtemps en silence.
Le cœur du vieux chanteur de chansons battait à se rompre. Il éprouvait un sentiment d’allégresse mêlé d’angoisse. Il avait conscience qu’il allait au devant de quelque magique révélation.
Il les avait souvent parcourues, de nuit comme de jour, et par des hivers tout semblables à celui-ci, ces campagnes de Cast, de Plomodiern et de Plonévez-Porzay qui dévalent en pente douce, avec leurs menues pièces de terre et leurs bouquets de bois, vers la baie de Douarnenez. Jamais il ne leur avait trouvé ce je ne sais quel air qu’elles avaient ce soir. On les eût dites attentives à quelque chose d’insolite qui se préparait dans l’ombre. Elles étaient troublées, elles aussi, d’une émotion mystérieuse. Cela se voyait à l’attitude des arbres, des talus, et à une sorte de frisson qui agitait le sol même.
Un grand silence d’attente, une oppression infinie…
Ce qui plus que tout le reste étonnait Jean Rumengol, c’était de n’entendre point la chanson coutumière des eaux de la mer qu’il savait toutes proches. Vainement il les cherchait, ces eaux, entre la presqu’île basse de Crozon et les hautes falaises du Cap dont la courbe majestueuse se dessinait énergiquement sur le fond clair de la nuit.
La baie apparaissait comme un immense entonnoir vide. L’Océan s’était enfui. Il devait avoir été refoulé là-bas, à des lieues et à des lieues. On respirait encore son haleine salée, son odeur de saumure saine, si persistante. Mais, de lui, tout s’était effacé, à moins que ce ne fut lui, ce nuage d’un gris sombre qui se distinguait à peine dans les lointains et qui avait une forme de bête