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Page:Le Braz - Vieilles histoires du pays breton, 1905.djvu/310

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RÉCITS DE PASSANTS

avait des pâleurs subites ; puis, tout aussitôt, son visage s’empourprait, devenait d’un rouge feu.

« Je le suppliai de se coucher, mais il s’obstina à demeurer assis sur le banc, les coudes allongés sur la table, le front dans les mains. Les enfants ni moi nous n’osions lui adresser la parole. D’ailleurs, nous étions nous-mêmes frappés d’une sorte de stupeur. Quant à faire chercher un médecin, c’eût été peine perdue. Il n’y en avait pas dans la contrée. Et puis, ce n’était pas dans les habitudes des gens de cette époque. On vivait, on mourait, sans médecin ni médecine. Il faut dire aussi que, bien que très angoissés, nous n’avions pas le sentiment d’un danger immédiat… Dans l’après-midi, peut-être pour nous rassurer, Pêr se prétendit mieux. Il manda le fils aîné :

« — Va chez Tual, notre voisin, lui ordonna-t-il, et mets-le au courant de l’aventure, afin qu’il prévienne les autres cousins. On ne doit pas laisser pourrir en plein vent comme une charogne le cadavre d’un chrétien qui fut peut-être un sabotier. Dis-lui que c’est au carrefour de Blanche-Épine, à gauche du sentier qui mène vers Saint-Nicodème…

« Au nom de Blanche-Épine j’avais tressailli.

« — Qu’as-tu ? fit Pèr qui avait remarqué mon mouvement.

« — Rien, mon ami… ou plutôt, c’est toute une histoire, trop longue à te raconter pour l’instant… Tu n’es pas en état de l’entendre.

« — Ah ! murmura-t-il en laissant retomber sa tête.

« Je crus qu’il voulait dormir. Je le conjurai même de s’étendre sur le lit. Il eut un geste las, soupira :

« — Je suis bien ainsi… je suis très bien…

« Et il ne bougea plus… J’envoyai les enfants jouer