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Page:Le Braz - Vieilles histoires du pays breton, 1905.djvu/339

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HUMBLE AMOUR

« — Qu’est-ce donc qui va m’arriver ?

« Sentant que la tête me tournait, je me couchai à plat ventre sur un tronc d’aulne surplombant la rivière et me plongeai la face dans l’eau, qui était d’une fraîcheur glacée.

« Soudain, derrière moi, dans la pente, une voix cria :

« — Laurik, hé ! Laurik Cosquer ! Où donc êtes-vous ?

« J’eus le bondissement d’un poisson que le pécheur, d’un brusque coup de ligne, fait sauter sur la berge. La voix, une fois encore, répéta :

« — Laurik, hé !

« Oh ! ce cri, si jeune, si vibrant, d’un timbre si harmonieux, dusse-je vivre cent ans, je l’entendrai toujours, toujours !

« Celle qui m’appelait se tenait droite dans le sentier, au flanc du coteau, entre deux touffes de prunellier qui l’encadraient de part et d’autre. Sa jupe de laine bleue à raies rouges lui tombait à peine à mi-jambe. Sa taille svelte s’échappait de l’étroit corsage comme une fleur de sa gaine. Son visage était une lumière, et ses cheveux blonds, ébouriffés tout autour, semblaient une couronne de rayons. Et elle était si jolie, elle avait une grâce si étrange, si fluide et surnaturelle, qu’on eût dit une apparition. Je restai là, tout saisi, à la contempler. Les pâtres et pastoures de Lourdes ou de la Salette n’éprouvèrent assurément pas devant l’image vivante de la Vierge un trouble plus religieux. Je n’osais faire un mouvement ni prononcer une parole de peur de la voir ouvrir ses ailes et s’envoler.

« Et c’était Néa, certes, mais une Néa que je ne soupçonnais point, une Néa transfigurée. Je ne pus m’empêcher de lui en faire la remarque, quand elle fut près de moi, dans l’herbe du pré.