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Page:Le Braz - Vieilles histoires du pays breton, 1905.djvu/76

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VIEILLES HISTOIRES DE PAYS BRETON

Fournier, chauffe ton four ;
Vous aurez de l’argent plein la main !
Iou !…

Il y aura du pain pour les riches,
Il y en aura pour les pauvres,
Car il est fauché, le blé jaune ! ,
Iou !…

Messire Guillaume Guégan continuait à surveiller la moisson dans les terres de Guerrande, comme si, entre son maître et lui, rien ne se fût passé. Mais, chaque fois que sa femme venait lui apportera manger aux champs, il ne manquait pas de lui demander :

— Il n’a rien fait dire, Clauda ?

— Bien encore, répondait-elle.

Ils s’attendaient, d’un jour à l’autre, à ce que le marquis les mit dehors, sans autre forme de procès. Ils avaient même pris leurs dispositions en conséquence. Ils iraient vivre auprès des « vieux », à Kerguntul, en Plestin les-Grèves, d’où ils se félicitaient de n’avoir pas ramené les marmots. Mais les desseins de M. de Locmaria demeuraient impénétrables.

— Les comptes du moins sont en règle, disait l’intendant, le soir, en tombant au lit, harassé de fatigue… Je ne lui aurai fait tort ni d’une minute ni d’un liard.

Au fond, et quoiqu’il n’en laissât rien paraître, la pensée de quitter Guerrande le navrait dans l’âme. Là il était né, là il avait grandi ; là reposaient, dans l’étroit cimetière, à l’ombre du clocher de Plégat, les ossements vénérés de ses ancêtres. Aussi haut qu’il pouvait remonter dans l’humble lignée des Guégan, tous avaient vieilli, tous étaient morts au service des Locmaria… Et puis, se séparer de « Monsieur Charles » ! Vraiment, cela était il dans l’ordre des choses possibles ?