— Quoi ?
— Le théâtre des songes.
— Je ne comprends pas davantage.
— On découvrit un procédé permettant de fixer les rêves sur la toile comme le cinématographe fixe aujourd’hui le mouvement matériel sur des pellicules. Étant donnée la richesse de notre subconscient, mer dont émane le songe et mer profonde dont la conscience émerge à peine sur une minime étendue, vous pouvez imaginer quelles merveilleuses représentations se donnaient sur ce théâtre. Il devint l’art suprême le plus délicieux de tous et, plus encore, une science. L’âme humaine commença à ne plus être l’énigme qu’elle est aujourd’hui à partir du moment où elle put ainsi être photographiée dans son état de nudité absolue. Jusqu’alors nous n’en connaissions que ses manifestations habillées par la Censure, c’est-à-dire, par ses attitudes.
À ce moment, un domestique entra brusquement dans le bureau. Il appela Jane et lui dit quelques mots agités. Sans s’excuser, la jeune fille se retira précipitamment.
Je restai étonné sans savoir que penser. Bien élevée et correcte comme l’était Jane, si elle me quittait ainsi sans même me dire le classique et souriant « vous permettez », c’est qu’il se passait quelque chose de grave. Assis dans mon fauteuil j’attendis pendant une dizaine de minutes, l’oreille attentive aux moindres rumeurs, tentant de pénétrer ce mystère. Le silence se faisait absolu ; je n’entendais même plus le vrombissement du chronisateur en train de travailler. À ce moment, je regardai ma montre.
— Dix heures quinze ! Le courant doit être arrivé à l’année 2001, pensai-je, année que je n’atteindrai pas, mais mon fils Ayrton Benson Lobo y arrivera peut-être…
Je me mis à rêver : Jane était restée seule sur terre, sans parents et sans désirs de vie mondaine. Quant à moi, je n’étais plus, à cette époque, le pauvre diable que j’étais maintenant, triste employé de MM. Sa, Pato et Cie. J’étais un écrivain, un romancier. Les journaux publiaient mon portrait et me saluaient du titre d’« illustre homme de lettres ». J’avais une situation sociale des plus enviables. J’avais donc pu me rapprocher de la pauvre petite et lui offrir de devenir le compagnon de sa vie. Jane avait naturellement accepté mon cœur. Ensuite, voyages à travers le monde, Paris, New-York ; nous emportions avec nous le petit carnet de cotations…