Page:Le Correspondant, 84è année, Tome 247, 1912.djvu/402

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truction, à des épreuves spéciales et leur donne-t-on parfois un profil spécial ondulé, plus résistant. À ce sujet citons l’exemple d’un abordage qui eut lieu le 1er mars dernier dans le Pas-de-Calais. Le paquebot le Nord, qui fait le service de la malle postale entre Calais et Douvres, a été abordé, à trois milles environ de la côte anglaise avant d’arriver à Douvres, par un cargo-boat anglais le Lockwood qui faisait route vers la Hollande et qui, par suite, coupait à angle droit le trajet du Nord. L’étrave du Lockwood fit une déchirure dans le flanc du Nord un peu en avant de son milieu. L’eau pénétra dans la chaufferie avant et inonda huit chaudières. Heureusement elle n’envahit pas subitement cette tranche, ce qui permit aux chauffeurs et soutiers de quitter leurs postes quand son niveau commença à atteindre les cendriers et à éteindre les feux. Ce qui sauva le paquebot, ce fut la résistance de ses cloisons étanches. Si elles avaient cédé, une nouvelle catastrophe était encore à enregistrer. Il est vrai que le compartiment atteint n’était pas à l’extrémité comme pour le Titanic. Le navire piqua légèrement du nez et se maintint ainsi tout le temps nécessaire.

Peut-on en dire autant du Titanic ? Malheureusement non. D’abord sa masse et sa vitesse lui nuisirent, car elles rendirent le choc plus intense et par suite l’avarie plus importante. Les compartiments ont dû être très rapidement pleins. De plus, par suite de l’obliquité du choc, plusieurs cloisons étanches de l’avant ont du être avariées. Le fait que le Titanic, malgré plusieurs compartiments envahis, a mis presque trois heures à couler semble démentir la critique qu’ont faite certains journaux, qu’il n’y avait pas assez de cloisons étanches dans le Titanic. Il n’est pas possible, de plus, qu’au moment de l’étude du projet, on n’ait pas fait à ce sujet le calcul que tout constructeur consciencieux s’impose sur cette question de voie d’eau. Il a dû plutôt se produire ceci : les cloisons qui devaient entrer en jeu les premières étaient précisément celles, restées intactes, les plus voisines de l’avarie, c’est-à-dire celles qui sans être crevées avaient été ébranlées. Leur résistance à la pression de l’eau n’était plus suffisante et elles ont dû céder, en cascades, les unes après les autres. Ce qui confirme cette hypothèse, c’est cette explosion de chaudières qu’on entendit un peu avant la fin de l’agonie : une cloison venait encore de céder. Et l’eau sourdement, sournoisement s’infiltra partout, monta le long des ascenseurs, des escaliers luxueux, entra dans les salons, dans les salles à manger, où quelques instants auparavant retentissaient encore les éclats de voix et les rires des passagers insouciants qui ne se doutaient pas que l’ennemie était là, dehors, attendant ses proies.