Page:Le Correspondant, tome 236, 1909.djvu/804

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et le couple avait à lui seul le gaillard pour champ-clos. Donkin l’indigent dans ce nouveau personnage, la péripétie éveilla l’intérêt. Il dansait, dépenaillé, devant le Finnois ahuri, esquissant des attaques du poing dans la direction du lourd visage que nulle émotion n’altérait. Deux ou trois spectateurs encouragèrent le jeu d’un : « Vas-y, Whitechapel ! » en s’installant voluptueusement dans leurs lits pour suivre la lutte. D’autres crièrent : « Ta bouche !… Ferme ça !… » Le vacarme recommençait. Soudain, une succession de coups frappés au-dessus de leurs têtes avec un anspect résonna comme une petite canonnade dans tout le gaillard. Puis la voix du maître d’équipage s’éleva derrière la porte, une note de commandement dans son accent traînard :

— As-tu entendu ? vous autres en bas. Tout le monde derrière ! Tout le monde derrière pour faire l’appel !

Il y eut un moment de silence étonné. Puis le plancher du gaillard d’avant disparut sous des hommes sautés de leurs couchettes avec un flop ! de pieds nus. On repêcha des bonnets dans des plis de couvertures défaites. Quelques-uns, en bâillant, boutonnaient des vestes. Des pipes à moitié fumées se vidaient heurtées contre le boisage, avant de disparaître poussées sous des oreillers. Des voix grognèrent : « Qu’est-ce qu’il y a ? On peut pas dormir ?… » Donkin hargna : « Si c’est comme ça que ça se passe sur ce bateau-ci, faudra voir à y voir !… Laissez-moi faire… ça ne traînera pas… »

Personne ne faisait attention à lui. Ils sortaient par paquets de deux et trois pressés dans la porte, à la mode des matelots au commerce qui ne savent pas prendre une porte franchement, comme de simples terriens. L’apôtre des réformes suivit. Singleton, enfilant son paletot, passa le dernier, massif et paternel, portant haut sa tête de sage battu des orages sur un corps de vieil athlète.

Charley seul resta dans la blancheur crue de la pièce vide, assis entre les deux rangs des mailles de fer dont la suite se perdait dans l’ombre étroite de l’avant. Il tirait violemment sur les torons du filin, en un effort suprême pour finir son nœud commencé. Tout à coup, il se leva d’un élan, jeta le câble au nez du chat et fila derrière le matou noir qui franchissait à petits sauts les stoppeurs de chaîne, la queue toute droite, en l’air, comme une hampe.

Les marins passèrent de la lumière brutale et de la chaude buée qui noyait le gaillard d’avant à la sérénité d’une nuit pure. Son souffle apaisant les enveloppa, tiède haleine qui s’écoulait sous les étoiles innombrablement suspendues plus haut que la