Page:Le Correspondant, tome 236, 1909.djvu/965

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pareille, ou gardait une forte hache. À ce moment, l’écoute du hunier céda, le bout de la lourde chaîne ferrailla là-haut, des étincelles de feu rouge descendirent mêlées au vol des embruns. La voile claqua une fois d’une secousse qui sembla nous arracher le cœur à travers nos dents serrées et devint instantanément un bouquet d’étroits rubans flottants qui, mêlés, noués, retombèrent bientôt inertes le long de la vergue.

Le capitaine, d’un effort, parvint à se dresser la face contre le pont sur lequel des hommes pendaient, balancés au bout des cordes, comme des voleurs de nids à la paroi d’une falaise. Un de ses pieds posait sur la poitrine d’un matelot, dans son visage pourpre, les lèvres bougeaient. Il criait aussi, il criait courbé en deux :

— Non ! non !

M. Baker, se retenant d’une cuisse à l’habitacle, rugit :

— Avez-vous dit non ? Pas couper ?

L’autre secoua la tête frénétiquement :

— Non ! non !

Entre ses jambes, le charpentier rampant l’entendit, retomba tout de suite et demeura coi de tout de son long dans l’angle de la clairevoie. Des voix reprirent la défense : « Non ! non ! »

Puis, tout redevint muet. Ils attendaient que le navire se retournât complètement et les vidât dans la mer, et, parmi la terrifiante rumeur des Ilots et des vents, pas un murmure de remontrance n’échappa à ces hommes dont chacun eût donné beaucoup d’années de sa vie pour voir « ces damnés bâtons s’en aller pardessus bord ». Tous, leur unique chance de salut, ils la sentaient là ; mais un petit homme au visage dur secouait sa tête grise et criait : « Non ! » sans leur jeter même l’aumône d’un regard. Muets, ils soufflèrent. Ils saisirent des barres d’appui, nouèrent des bouts de cordes sous leurs aisselles, agrippèrent des chevilles, se traînèrent en tas où l’on pouvait assurer ses pieds ; ils se cramponnèrent, des deux bras, crochèrent dans n’importe quoi du côté du vent, des coudes, du menton, peu s’en fallut, des dents : quelques-uns, incapables de s’arracher assez vite des coins où ils avaient été jetés, sentaient la mer s’enfler, comme ils grimpaient et les frapper dans le dos. Singleton n’avait pas lâché la barre. Ses cheveux volaient au vent ; la tempête semblait empoigner par la barbe son ennemi de toute une vie et lui tordre sa tête blanche. Il ne lâchait pas et, ses genoux coincés entre les manettes de la roue, dansait en bas, en haut, semblable à un homme sur une branche. Comme la mort ne semblait point prête, ils se remirent à regarder autour d’eux. Donkin, pris par un pied dans une boucle de filin quelconque, pendait la tête en bas au-dessous de