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III


Le comte était assis dans son cabinet de travail, en face d’un bureau de chêne durci, et tourmentait un coupe-papier d’ivoire dont il faisait ployer la lame.

En face de lui, sur un fauteuil de drap rouge, M. Pignel se démenait et parlait.

Le contraste entre les deux hommes et les deux attitudes était complet : M. de Cisay, calme, ne quittant pas son sourire de commande, tout extérieur, l’œil brillant et sec, à peine un geste nerveux de la main, à demi allongé, écoutait son interlocuteur sans trahir la moindre émotion. Sur son visage un peu creusé, sur ses traits saillants, on ne pouvait étudier que l’empreinte laissée par l’habitude de la vie, mais jamais celle des impressions du moment.

Les tentures rouge sombre, les boiseries, les meubles noirs donnaient à cet appartement un aspect particulièrement grave et le privaient de beaucoup de lumière. Mais à cette heure de la journée, la fenêtre étant ouverte, laissait entrer une gerbe de rayons qui portaient directement sur le bureau du comte, tranchant avec la pénombre de tout ce qui n’était pas ainsi éclairé.

Ce carré de soleil se terminait au pied du fauteuil de l’agent de change. M. Pignel, dans la précipitation de ses mouvements, tantôt y entrait, lorsqu’il se penchait en avant, tantôt en sortait, quand il se renversait en arrière. C’était un petit homme chétif, agité, d’un teint absolument pâle, plombé, flanqué de favoris roux, et d’une recherche de toilette qui jurait avec le manque d’élégance de ses manières. Il se répandait en paroles, en gestes ; il semblait accuser quelqu’un et ne restait pas une minute dans la même position.

Le comte le laissa parler. Puis, quand il en eut assez, il coupa la phrase à un joint :

— Que voulez-vous, mon cher Pignel ? c’est une mauvaise affaire… Il y en a pour tout le monde.

Ce beau calme glaça le petit homme. Il s’arrêta un peu, comme transi, puis se répandit à nouveau en explications et en regrets.

Le comte l’attendit encore et ensuite se leva, très naturellement, et fit quelques pas près du bureau.

M. Pignel suivit l’impulsion donnée et se leva aussi.

— Nous recommencerons, mon cher Pignel, nous recommencerons, voilà tout.

— À la bonne heure, monsieur le comte. Je suis heureux de vous voir prendre les choses d’une si bonne façon, car, en vérité, même pour nous, qui sommes du métier, ce n’est pas facile d’avaler une