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laquelle menait s’adjoindre l’obligation de l’exemple à donner. Il était décidé à suivre cette voie et non pas celle du plaisir. Seulement, il avait besoin d’un appui. Il sentait que, jeune comme il l’était, traité dans la maison par deux générations ascendantes comme un enfant non encore formé, il aurait peine à réaliser ses projets. Et sa raison, conforme aux inclinations de son cœur, l’entraînait vers une compagne qui le comprendrait, qui l’aiderait et le charmerait dans ce perpétuel combat entrepris par un chrétien contre une société à-demi païenne. Alors l’image de Jeanne accourait à lui :

— Oui, se disait-il, je l’aime ! Je l’aime parce qu’elle est belle, parce qu’elle est bonne, parce que nous voyons la vie des mêmes yeux et que je suis sûr, appuyé sur elle, d’être compris et soutenu quand je ferai mon devoir.

Bernard ne croyait pas, en pensant ainsi, toucher si juste la vraie théorie du mariage, cette haute convenance sociale qui doit primer les questions de fortune, les questions de beauté et même les questions d’amour. Il obéissait simplement à une sorte d’instinct moral, lumière providentielle que Dieu accorde aux cœurs droits. Quand il entrevoyait son union avec Jeanne d’Oyrelles, sa raison, sa foi, ses projets d’avenir, étaient aussi pleinement satisfaits que ses rêves de tendresse. Tout était dans l’ordre voulu.

— Eh bien, se dit Bernard, plus accessible peut-être à la pensée du devoir qu’à celle de l’amour, comme toutes les jeunesses chastes, il faut que cette question soit tranchée. Le temps est venu de déclarer ce que je désire, et ce serait lâche à moi d’hésiter davantage à en parler à mon père.

Alors il s’assit sous un grand chêne, et là, les pieds dans la mousse, il médita longtemps sur la conversation qu’il allait avoir et les résultats qu’elle pouvait amener. Une émotion intense faisait battre ses veines, et pourtant, sur ce jeune visage, passaient, comme un reflet intérieur, des rayonnements d’idées graves, de plans sérieux et profonds, qui lui donnaient une nouvelle et plus mâle beauté.

Tout à coup, il se releva, reprit d’un pas ferme le chemin du château, s’informa du comte, apprit que son père était seul et monta lestement l’escalier.

Le comte était dans son cabinet, devant son bureau. En voyant entrer son fils, il repoussa ses dossiers et recula un peu son fauteuil, l’éloignant de la table. Du premier coup d’œil, il remarqua la physionomie de Bernard, et lui dit de son air toujours légèrement moqueur :

— Qu’est-ce qu’il y a, chevalier de la Manche ?…, Venez-vous d’abattre un moulin ?