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la plus ambitieuse, et si certaines mères avaient détourné leurs filles d’y songer, c’est parce qu’elles craignaient les déceptions. La présence du comte avec sa gravité, et du marquis avec son entrain, complétaient l’auréole :

— Et pas de belle-mère ! ajoutait chacun, ou plutôt chacune, dans le secret de son cœur.

Il n’y avait dans le salon aucun ordre, aucune symétrie. Peu ou point de conversation générale. De petites femmes, laides comme des chenilles, cherchaient à se faire une réputation d’esprit ; d’autres chuchotaient, mordant le prochain ; une série d’aparté. Le tout, très bruyant.

— Ne trouvez-vous pas que le marquis a l’air d’un autre monde ?

— Ah ! ma chère !

— Non. Je veux dire qu’il est un peu dépaysé. On cherche l’épée relevant le coin de son habit.

— Moi, je le trouve charmant. On peut avouer cela, vu son âge.

— En revanche, le comte est très moderne.

— Le marquis aussi. Il n’y a rien de plus moderne que de marier son petit-fils à une Américaine.

— Oui, mais c’est un peu rococo d’arriver tous les trois à la fois.

— Pourquoi, puisqu’ils vont tous trois dans le monde ?

— On se sépare !

— Ils sont formalistes, à ce qu’il paraît.

— Regardez donc Mme Fulston qui fait des frais. C’est laborieux : on dirait qu’elle pond.

Mme Fulston avait accaparé M. de Cisay. Peu préoccupée du reste de ses visiteurs, qui s’amusaient sans elle, elle ne lâchait pas le marquis. Un peu troublée au fond d’elle-même par le désir d’être aimable, elle se donnait des airs d’assurance d’autant plus énergiques, et, quoique s’adressant à lui seul, parlait très haut, comme s’il eût été sourd. M. de Cisay l’observait. Poli en apparence, légèrement incliné vers elle, le sourire aux lèvres, il n’en avait pas moins un air souverainement railleur. Attitude de grand seigneur qui tâche de rattraper une situation par l’impertinence courtoise. Mais Mme Fulston était bien loin de s’en apercevoir. Il eût fallu avoir plus d’esprit et moins d’orgueil. Elle savourait, au contraire, la présence du marquis et cherchait de toutes ses forces à le traiter d’égale à égal. En dépit de ses labeurs, rien n’était plus banal que sa conversation. M. de Cisay en était stupéfait, lui qui ne s’étonnait pas de grand’chose ; il lui revenait à l’oreille ce joli mot d’une femme d’esprit : « La pensée est un oiseau, mais elle a un vol plus ou