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Il ferma presque complètement ses deux petits yeux, et reprit de l’air, ayant la respiration courte :

— … À force d’y penser !… je crois que j’ai trouvé !

Et, s’arrêtant en face du marquis, il lança le rayon de ses prunelles en riant de son gros rire.

— Vraiment, mon bon ami ?

Le notaire fit un signe de tête. M. de Cisay se pencha vers lui et d’un air moitié souriant, moitié mystère.

— Eh bien, Durandal !… nous aussi !

— Bah ! dit-il, étonné et un peu incrédule.

Maître Durandal s’établit sur ses deux jambes pour écouter un cas si peu prévu. Il devint presque grave. Le marquis au contraire avait le triomphe assez fat :

— Ah ! ah ! mon vieux Durandal, il n’est si bon pupille qui ne s’émancipe !

Puis, avec sa bonhomie ordinaire :

— Tranquillisez-vous ! Votre tutelle est douce. Je m’y remettrai. Mais pour aujourd’hui, j’en ai eu l’idée. N’est-ce pas, Bernard ?

Il passa son bras sous celui du notaire.

— Venez. Pour l’amour de nous, faites volte-face… afin que nous causions sans perdre une minute… Je ne vous essoufflerai pas. Je vous promets de marcher doucement.

Et se tournant vers le jeune homme :

— Si je vais trop vite, tu me retiendras, mon petit Bernard.

Ah ! qu’il était aisé de s’emporter par cette belle après-midi d’avril, quand on avait le cœur fait comme M. de Cisay et que l’on entamait pareille course ! Le printemps qui germait de toutes parts, ouvrant les ailes, éveillant les assoupis, le réchauffait encore de son souffle. À côté de lui, Bernard, perdu dans un songe, déjà rendu en esprit à la Gerbière, souriait à ses propres pensées de l’air radieux et ému d’un bonheur qui se tâte et doute encore de lui-même. Le notaire, satisfait de ce qu’il entendait, approuvait le marquis, l’encourageait et jetait de temps à autre sur le jeune homme un regard semi-paternel. Tout au plus crut-il devoir à sa dignité professionnelle de faire quelques légères objections, légères comme le duvet qui tombait des nids. La combinaison du notaire s’était noyée dans le plan du marquis, avec lequel d’ailleurs elle avait certaines accointances. Il était si content, ce bon Durandal, qu’il se laissait entraîner comme un homme maigre, et suivait vaillamment ses deux compagnons, à la condition toutefois d’accrocher une partie de son poids au bras nerveux de M. de Cisay. On se sépara en vue de la Gerbière. Les adieux furent courts, et Bernard, tremblant, s’engagea près de son grand-père dans l’avenue qui conduisait au logis.