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LE CRAPOUILLOT

Je goûtais le bonheur de renaître à la vie,
De jouir à nouveau du jeu de ma raison,
Et je m’émerveilleis en mon âme ravie
D’être sensible encore à l’éclat des saisons

Or je t’implore, ô toi qui d’un nouveau délire
Peux frapper à ton gré ce faible esprit demain.
Je t’apporte l’encens, ô déesse, et la myrrhe
Et je tourne vers toi la paume de ma main.


Après la mise en vente de ce bref recueil, les admirateurs de Chevrier pouvaient craindre qu’il ne retombât dans un silence de seize années. Mais fort heureusement il n’en a rien été puisque 1929 a vu naître deux nouveaux livres de lui, d’une inspiration différente : Propos et Les trois premiers livres des chants.

Ne cherchons dans Propos que des poèmes de circonstance, cadencés presque tous pour l’excellente Muse Française d’A.-P. Garnier et Maurice Allem, et tout en nous réjouissant rie les lire une seconde fois réunis en volume, ne leur prêtons rien de plus qu’une valeur de jeux parfois cruels et confinant même à l’injustice, mais néanmoins toujours soumis au double contrôle d’un esprit aigu et d’une vaste intelligence. Il y a de bien jolis passages dans l’odelette dédiée à Vincent Muselli et dans le début de i’épître écrite pour A.-P. Garnier, et je ne résiste point au plaisir de citer ces vers, d’un tour suffisamment leste, et qui demeurent dans la meilleure tradition des poètes mineurs et gaillards du temps de Louis XIII :


À la façon de Barbari’
Clitandre torche vers et prose.
Du jeu la syntaxe est forclose.
Ce dont vous me voyez marri.

Si vous ne criez pas merveilles
En oyant ce charivari,
À la façon de Barbari’
Il vous coupera les oreilles.

Mais le voilà qui pousse un cri,
Voyant passer la jeune Hermance.
À la façon de Barbari’
Sur elle Clitandre s’élance.

Or, de bien longtemps, la houri
Ne pourra se tenir en selle,
Hélas ! il fait l’amour, dit-elle,
À la façon de Barbari’!


Avec les Trois Premiers Livres des Chants nous nous élevons de plusieurs degrés, et nous rentrons dans les flammes vivaces de la poésie lyrique. Chevrier subit ici diverses influences dont les mieux établies paraissent être celles de La Fontaine, de Malherbe, de Bertaut, et beaucoup plus près de nous celles de Moréas et de Maurice Du Plessys. Je ne crois point toutefois qu’il soit vrai, comme l’écrit Jean Cabanel dans une longue étude parue dans Triptyque et par ailleurs très pertinente, « qu’après Racine Chevrier bondisse dédaigneusement par-dessus deux siècles pour ne tirer son chapeau qu’à Moréas ». Je suis même à peu près sûr du contraire, et, que sans parler de Chénier pour qui un poète de sa classe est forcé d’éprouver la plus légitime des admirations, Chevrier ne méprise ni l’œuvre élégiaque d’un Parny ni celle par endroits si puissante d’un Ecouchard-Lebrun. Je pense enfin aussi que ce qu’il y a de plus mélodieux et de plus grand dans la poésie romantique doit l’avoir touché vivement et à maintes reprises, et je découvre avec joie certains accents baudelairiens dans scs vers, par exemple dans le premier quatrain de cette insinuante et lumineuse invitation au voyage :


Entends l’appel du mot au son magique : Asie
Qui vient furtivement par cette nuit d’été
Exciter à nouveau ta vieille nostalgie,
Ô cœur naguère encore épris du seul Léihé !

Quand pourrai-je baigner dans ton flot d’émeraude
Une brûlante chair, Indus, ou sur tes bords
Suivre d’un œil ravi les guirlandes de roses
Que le vol des flamants accroche au couchant d’or !


Maurice Chevrier ne s’est pas inféodé au groupe roman ou néo-roman. Certes, il n’échappe pas à tous les travers de cette école, mais, comme il est un poète authentique et non pas uniquement un érudit versificateur, nous ne désirons en aucune manière insister à son sujet sur de menus défauts alors qu’il nous offre si naturellement la preuve des dons les plus suaves et les plus intenses.

Je tiens à mettre hors de pair parmi les poèmes de son dernier livre quelques stances voluptueuses et parfaites dans leur concision comme celles-ci où les mouvements éternels du cœur humain se laissent deviner à merveille :


Tandis qu’un songe heureux enfle sa gorge ronde
Et tient ouvertes à demi
Ses lèvres où le rire encore vagabonde
Autour d’un baiser endormi,
Je guette ton passage entre ces fleurs jumelles
Sur lesquelles je suis penché,
Haleine, air déplacé par le battement d’ailes
De l’insaisissable Psyché.


Et cependant rien n’égale, dans son œuvre, ce Jour des Morts dont l’enchantement familier et doux se nourrit de la pathétique solitude des tombeaux, et qui a sa place réservée dans les anthologies futures à condition, bien entendu, qu’elles ne soient composées ni par les petits-neveux de nos actuels surréalistes, ni par la descendance de M. Paul Léaulaud, ami des chats, mais ennemi des poètes.

Philippe Chabaneix.
BOIS DE HERMINE DAVID