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CHRONIQUE DE AIGUILLEUR


DE L’AMITIÉ

Cher ami, tu es mon chef-d’œuvre ; mais non pas exceptionnel. Plutôt notre amitié est un beau travail, une maison bien comprise. Reconnaissons-en les richesses ; mais, si tu me refuses une grande attention, résigne toi a en ignorer le meilleur.

Que mon attention force la tienne.

je te parle, tu m’appartiens, rien ne viendra nous séparer que tu ne m’aies donné une ou quelques vertus.

Ensuite, sois plus familier avec ta vie, simple et modeste comme elle.

Que son indulgence force la tienne.

L’amitié ne se commande pas ! — Toutes les passions se commandent.

Mais n’est-ce rien qu’un parti-pris ! — Oui, mon ami, une religion.

— Sage, si tu pensais au hasard, si je vivais distraitement, serions nous encore ce sage et ce poète !

Je ne veux pas qu’un amitié me gêne ; par définition, c’est une passion heureuse. Mais a quel prix ! — Expliquons-nous.

— Je te rencontre : effort mutuel violent ; et nous voila chacun pareil a une image de nous qui appartient a l’autre.

— Or, nous nous voyons tous les jours. Fatigue. Ennui. Moins de bonne volonté, d’indulgence : déception.

— « Que cet homme a peu d’intérêt !... » - « Eh quoi ! justement tu parlais de sa miraculeuse sagesse ! » — Cueillé-je tous les ana les fruits de mon verger ! — Qu’il se repose, je veux une récolte opulente.

— Ainsi, deux amis décidèrent de ne pas se voir trop souvent.

Mon frère, qui d’autre que toi pourrait me croire un homme de bonne volonté ! Mon frère, je t’écoute sans ennui, parce qu’il t’arrive de me demander conseil.

DU BONHEUR

Je ne suis heureux que de vivre. Mes sens me font plaisir comme des témoins : j’existe. — Je me réveille en pleine nuit, quelle est cette angoisse monstrueuse ! — Ah, je me pince jusqu’au sang pour être certain que je vis, j’ai vraiment mal, je retrouve ma félicité.

Chambre, ma chambre, porteras-tu l’empreinte d’un homme, les marques de ma vie passionnante ! Te rendrais-je enfin ridicule ! — Le poète se fâche tout rouge et bourre ses meubles de coups de pieds.

La poésie, cet exercice spirituel, prépare mieux que la sagesse. vivre heureux. Essayons cette plume en marge de nos livres, exerçons cet esprit a travailler pour nous ; il y a ensuite le livre a faire et l’existence a posséder. « Pas une minute a perdre », dit Cendrars . déjà lamé de nous, le voyageur cherche ailleurs son image.

« Je pense, donc je suis », — donc : j’aime à penser.

D'UN PARTI NET

Alain nous donne la logique comme un art. C’est d’un grand esprit.

Spinoza fait une science de la morale.

Lequel choisissez-vous !

— Je les aime également. Quel choix faire ! — Chacun me donne une autre joie : comment me priver de l’un d’eux !