Page:Le Disque vert, année 1, n°1 et 2, mai-juin 1922.djvu/5

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

SYNGE ET LE DRAME IRLANDAIS

Ces dernières années, à Londres, la littérature et le théâtre n’ont presque rien eu de commun ; aussi, quand, tout récemment, les comédiens irlandais « Irish Players », sont venus représenter un des drames de Synge, ce fut vraiment un événement important pour ceux qui placent le théâtre au-dessus du music-hall. Le jeu des comédiens irlandais est, en effet, plus près de la littérature (et de la vie), que la mimique emphatique et l’élocution déclamatoire des acteurs anglais ; et cela n’est pas étonnant, puisque ces acteurs irlandais ont travaillé leur élocution sous la direction de M. W.-B. Yeats.

Le rôle que l’« Abbey Théâtre », de Dublin, dirigé par Yeats, a joué dans l’histoire théâtrale contemporaine est, pour le moins, aussi important que celui qui a fait le mérite de l’« Œuvre », de Lugné-Poë, et l’on peut se demander si M. Jules Delacre s’est souvenu de l’expérience du théâtre de Dublin, en montan son entreprise, en Belgique.

On voudrait, en tout cas, lui souhaiter la même bonne fortune que celle qui échut a l’« Abbey Théâtre » , lequel n’aurait jamais eu une si longue carrière, si, pendant une série d’années, il n’eût été généreusement subsidié par un mécène dramatique, Miss Horniman (et ce, grâce a l’argent provenant du fameux thé Horniman).

L’« Abbey Théâtre » n’a pas seulement formé une école d’acteurs : il a donné naissance a une école de dramaturges. Il est impossible d’esquisser, dans cette courte notice, les débuts du drame national irlandais ; le rôle joué par George Moore et ses imitations d’Ibsen ; les curieux petits drames du Dr Douglas Hyde, que Lady Gregory a traduits du gaélique ; la poésie pure des drames de Yeats. L’événement capital de l’histoire du théâtre de Yeats, et qui fut claironné partout par ses prosélytes en quête d’un drame irlandais, fut la découverte d’un dramaturge national, John Millington Synge.

Les circonstances qui amenèrent M. Yeats a découvrir Synge, dans une mansarde, à Paris, en 1899, sont moins connues. M. Yeats a écrit lui-même l’histoire de ses relations avec Synge (Synge and the lreland of this Time, 1911). Nous savons, par ce livre et par d’autres données, que Synge, a l’époque où M. Yeats le découvrit, s’essayait a la critique littéraire (il avait, notamment, conçu un grand ouvrage sur Racine), mais que Yeats l’en déconseilla, en lui montrant qu’il n’avait aucune chance d’égaler Arthur Symons, comme critique de la littérature française, et que ce qu’il avait de mieux à faire était de retourner en Irlande et d’écrire comme un irlandais. Synge suivit ce conseil. Mais il n’était pas homme a s’engager dans la littérature par l’avenue facile du rhumatisme. il était né voyageur ; curieux de la vie et des coutumes, il avait, avant de rencontrer Yeats, visité une grande partie de l’Europe ; revenu en Irlande, il continua sa vie nomade. « Il n’aimait, dans l’Irlande, que ce qui était sauvage, et le peuple » écrit M. Yeats, et c’est sur la côte occidentale, sauvage, de l’Irlande, surtout dans les îles Aran, le «dernier boulevard du gaélique», où les pécheurs