Page:Le Disque vert, nord, tome 2, 1922 - 1924.djvu/378

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On l’accusait d’avoir tué son mari et sa mère, et, pour elle, nous achetions les journaux en cachette.

À vrai dire, aux yeux de mes camarades, le plus intéressant de l’affaire était le nom du valet de chambre. Mais ce nom stupéfiant, comme un gros mot prononcé en public ne retenait guère mon attention.

J’aimais la dame au cou nu et je l’aimais parce qu’elle était la dame au cou nu. Je m’accordais fort bien de cette passion, ignorant les principes de la relativité, cette gloire des mathématiciens, joie des réunions mondaines et supplice des cœurs tendres.

La dame au cou nu est la dame au cou nu. Sur le papier de ma chambre d’enfant j’écrivis cette phrase en lettres lisibles de moi seul. S’il s’était trouvé dans la foule un homme pour défendre mon aimée, sans doute aurais-je consenti à joindre son argument.

Les plus grands auteurs prononcèrent des paroles qu’on pût afficher dans les magasins, pour adoucir les vendeuses, ou celles dignes d’orner les frontons et d’autres encore à graver les jours de doute, (comme si c’était un moyen de les raffermir) dans les chairs molles des préjugés et des croyances.

Personne n’avait pensé à la dame au cou nu.

Je n’avais pas neuf ans et demeurai le seul à la défendre sans exhibitionnisme, sans espoir d’un petit profit lorsque s’ouvriraient les portes de sa prison.

Je la vois encore sur les photographies des magazines. Elle était une petite chose toute frêle dans un paquet de crêpe. On la représentait la tête directe, ou bien tournée À droite, à gauche : évanouie, le voile plus fort que les muscles à peine perceptibles sous une peau rose ; d’autres fois, la douceur de son front entraînait sur le bois du box les insignes de son double deuil.

Mais quels que fussent les mouvements leur mystère tout entier n’avait qu’un seul pivot.

Devant ma glace, je reconstituais ces frissons qui aboutissent en angle à la tête immobile des clavicules. Les juges ne purent condamner une femme qui avait de si jolis gestes entre le menton et les épaules.

Acquittée, la dame au cou nu publia ses mémoires. Respectueusement je m’abstins de les lire.

Elle épousa un étranger de grande naissance. J’eus envie d’écrire au mari : « Embrassez longuement tout son cou, son joli cou. »

Moi, je devins un homme.

Les femmes de ma génération ne portent pas de cols et, pourtant, je ne suis pas heureux. Du matin au soir je vitupère : « Caricatures. Jabots de chairs fripées. »

Bien entendu, aucune ne se souvient de celle que toutes copient.

Vieilles femmes simulatrices, elles croient inventer les gestes et les robes qu’on voit chez les couturiers. Mais cela est un lien commun, n’est-ce pas ma dame au cou nu ?

« Très remarquées aux courses, dit un journal anglais, ladies