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quelque hantise olympienne ? Il me plairait assez d’imaginer Chirico prophète sans souvenir ; pourtant, de quel droit lui prêter l’inconscience du devin ? J’aime mieux retenir sa grande leçon désespérée : le panthéisme allant jusqu’à l’athéisme, une voiture de déménagement plus angoissante que l’ombre des portiques, plus terrible aussi que le masque de Zeus.

Chirico ne crée ni les idoles, ni les objets rituels d’une mythologie encore inédite, qui forcément serait aussi précaire que l’ancienne ; on accuse sa peinture d’être métaphysique ; mais que prouve ce mot aux intentions sournoises ? Je crois, au contraire, qu’un sensuel très affiné pouvait seul goûter le charme des corps de buis ; de même, un simple penseur aurait-il su comprendre que chez les opticiens les têtes idéales attendent des baisers que nul encore n’a donnés ?

Ce n’est pas encore la fin du monde.
Une grandeur s’impose, inexplicablement.
Giorgio de Chirico, merci.


rené crevel.


ESSENINE

« Je suis le plus grand poète de toute la Russie ».
Moujick, grand poète de la folle Russie,
Simple comme un fer de hache,
Joli voyou, fier, et qui ris
De s’être fait payer des escarpins vernis,
Tu sais parler en frais vaurien
Du lait mousseux et des vaches.
Tu ris à blanches dents, en engouffrant ton gin :
« Je suis un bandit. »
Ah ! merveilleux nourrisson qui sur le foin
[de sa crèche]
Tette goulûment son biberon de vodka.
Ah ! les belles vaches à l’odeur fraîche
[et simple.]
Et moi le vieil intellectuel retors,
De retour de cent mille choses que tu ignores,
Moi qui ai un trousseau de fausses clefs brillantes
Pour tous les trésors,
— Et le dedans de ma tête est une fine vieille princesse —
Moi occupé à distiller toutes mes richesses
Pour en tirer une goutte de fine et parfaite odeur,
Moi occupé à brûler mes richesses

Pour en capter l’odeur,
Je te volerai tes vaches
Et ta simplicité.

fernand divoire.